vendredi 7 janvier 2011

Encore un pas, deuxième version

Le premier texte ne me plaisait pas sur la forme. Le voici corrigé, imparfait mais ressemblant plus à ce que je voulais qu'il soit.
Encore un pas

Fabienne se tenait devant la porte. Elle savait que son avenir se jouait juste de l'autre côté. C’était une belle porte en bois, ancienne, qui ouvrait une brèche dans un mur en pierre vieux de plusieurs siècles. Fabienne savait ce qu’il y avait derrière, sans l’avoir jamais franchie. Elle connaissait l’histoire de ce bâtiment et savait ce qui l’attendait une fois qu’elle en aurait franchi le seuil.

Fabienne avait un peu moins de quarante ans. C’était une femme brune, qui aurait été grande si les soucis qui lui pesaient tant ne lui donnaient un air tassé. Elle paraissait avoir bien plus que son âge ; à dire vrai, elle avait l’air d’une vieille femme épuisée, au bout du rouleau. Derrière cette porte, il y avait à la fois son salut et sa fin ; elle pouvait être sauvée, mais en même temps, elle se savait perdue si elle entrait dans ce domaine.
Elle revivait sans cesse la scène du matin qui l’avait amenée à cet endroit. Elle l’avait maintes fois vue se dérouler dans ses pires cauchemars ; maintes fois aussi, elle l’avait espérée. Il lui était difficile de ne pas être rassurée en sachant que le moment tant redouté était enfin arrivé. Mais le renoncement est toujours compliqué. Franchir cette porte, c’était oublier sa vie d’avant, accepter d’être une autre. Il lui faudrait oublier qui elle était, oublier son confort, sa maison, son quotidien ; certes, elle allait oublier ses angoisses, mais aussi ses joies matinales quand elle se réveillait pleine d’entrain, confondant le rêve et la réalité, au seuil de la vie réelle.

Ce matin-là, elle avait reçu un coup de téléphone de son médecin. Celui-ci lui avait demandé s’il pouvait passer la voir ; il avait insisté en lui disant combien sa visite était importante et qu’il prendrait le temps de tout lui expliquer. Fabienne savait pertinemment pour quelle raison son médecin l’avait appelé. Elle savait le moment enfin venu, inéluctable : cette fois-ci, elle ne pourrait pas se défausser. Il arrive un moment où le point de non-retour est atteint. Pour elle, c’était ce matin-là. Le médecin a sonné à sa porte moins d’une demi-heure plus tard. Elle avait eu le temps de s’habiller et de préparer quelques affaires qu’elle avait rassemblées dans une petite valise. Et elle avait sourit. Il lui suffirait de s’imaginer être dans sa maison, et alors elle pourrait y revenir, par la magie de la pensée. Oui, c'était ce qu'elle ferait : imaginer qu’elle était chez elle.
Le docteur la félicita pour son état d’esprit coopératif. Il lui expliqua le déroulement des opérations. Il lui suffisait de se présenter à l’entrée, le personnel était prévenu, une chambre était prête pour elle, elle n’avait plus qu’à sonner et on l’accueillerait. Elle devait se présenter avant 17 heures, c’était tout ce qui importait. Fabienne se souvint avoir eu un drôle de sentiment au moment où le médecin avait franchi la porte de sa petite maison. Elle avait eu l’impression que les portes de sa vie s’étaient refermées devant elle et qu’elle était entrée en prison. A midi, elle avait pris son dernier déjeuner de condamnée, avant d’intégrer sa cellule qui serait son univers jusqu’à sa mort.
Elle savait intimement que le médecin avait raison. L’internement était la seule alternative. La vie seule devenait trop dangereuse, trop compliquée. Pourtant, au début, c’était plutôt drôle. Ses hallucinations la faisaient rire rétrospectivement, au point que dans les premiers temps, elle avait accepté ces personnages imaginaires comme des compagnons dans sa vie solitaire. Mais ceux-ci s’étaient faits de plus en plus présents et étaient devenus encombrants, voire dangereux. Ils pouvaient prendre n’importe quelle forme. Humaine, animale, ou autre chose. Son imagination à ce sujet n’avait aucune limite. La dernière fois, c’était une énorme araignée qu’elle avait poursuivie avec son rouleau à pâtisserie. Quand elle l’avait enfin rattrapée alors qu’elle était sur la table de la cuisine et qu’elle l’avait frappée par trois fois, elle était retournée brutalement à la réalité. La douleur l’avait rappelée à l’ordre et elle avait dû joindre son médecin en urgence. Il l’avait envoyée faire des radios à l’hôpital et elle s’était retrouvée avec la main gauche dans le plâtre pendant 6 semaines. Elle avait eu honte. A l’hôpital, les infirmiers qui l’avaient accueillie lui avaient demandé comment elle avait eu la main écrasée. Elle n’avait su que dire, et l’infirmière avait suspecté un mauvais traitement. Elle lui avait demandé si elle était mariée, si elle était seule au moment de l’accident… les réponses confuses et gênées de Fabienne lui avaient paru étranges, au point qu’elle avait demandé le nom de son médecin traitant et un bilan psychologique.

Elle était là, maintenant, devant cette porte en bois. Derrière, elle le savait, se trouvait un environnement enchanteur, préservé. La végétation y était luxuriante, le micro climat qui régnait sur la petite ville finistérienne permettant l’acclimatation et la croissance des palmiers. L'endroit était réputé pour être magnifique, préservé, très bien restauré. Les jardins de la première enceinte se visitaient et attiraient de nombreuses personnes à la recherche de calme et de tranquillité. Le couvent austère avait fait place à un bâtiment moderne pourvu de tout le confort indispensable à sa nouvelle destination, sans pour autant que le site premier ne soit dénaturé. Le bâtiment de pierre avait, de ce fait, conservé son cachet et sa beauté primitive. L'ancienne hôtellerie, proche de l'entrée principale, servait autrefois de logement aux croyants de passage dans la communauté religieuse et abritait aujourd'hui une maison de retraite que le cadre rendait particulièrement paisible. Dans la partie privée de l'ancien couvent, derrière les murs du cloître, se trouvait désormais l’hôpital psychiatrique. Fabienne savait que ses illusions d'aujourd'hui disparaîtraient bien vite. Les médicaments allaient l’abrutir, faire disparaître les hallucinations, mais aussi ce regard tendre et décalé qu’elle portait sur le monde qui l’entourait. Elle allait s’enfermer dans sa folie, aidée en cela par les pilules qui lui seraient données chaque soir. Et pourtant, elle avait envie d’entrer. Elle savait qu’elle serait en sécurité. Plus jamais elle ne courrait derrière sa main en étant persuadée qu’elle devait l’assommer ; plus jamais elle ne mettrait le feu à ses rideaux en croyant qu’elle avait fait installer à cet endroit une belle cheminée.
Elle attrapa le heurtoir, décidée à frapper à la porte. Il était 15 heures, elle était dans les temps. Il valait mieux pour elle y aller le plus tôt possible. Si elle ne le faisait pas maintenant, elle risquait de changer d’avis, et elle ne le voulait à aucun prix. Sa vie devenait dangereuse, tellement dangereuse ! Oui, elle devait y aller.

Fabienne lâcha le heurtoir. Renoncer à sa liberté, à son imaginaire, à ses rêves, même dangereux, lui sembla tout à coup impensable.
Elle était dangereuse. Surtout pour elle-même. Bientôt, elle aurait peut-être perdu le contact avec la réalité. Mais en attendant, elle ne voulait pas qu’on lui vole ses rêves. Elle ne voulait pas des pilules qu’on lui ferait avaler.
Elle tourna les talons. Elle avait sa petite valise à la main, elle décida sur un coup de tête de ne pas entrer et de refaire sa vie. Ailleurs. Dans la rue s’il le fallait.
Elle allait disparaître.
Maintenant.

Amélie Platz, 7 janvier 2011

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