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dimanche 21 mars 2021

"Traces", enfin publié !

L'été dernier, à la faveur du confinement, j'ai pu mettre le point final à mon troisième recueil de nouvelles qui a finalement été publié sous le titre "Traces, Nouvelles mystiques".

Auto-édition. - ISBN : 978-2-9565170-5-4
15€ (hors frais de port)

Voici la 4e de couverture :

"Tel un film se déroulant dans sa tête, des images, bien différentes de ses souvenirs conscients, défilèrent en un instant devant ses yeux ébahis. Des images violentes, bruyantes. Des cris, des disputes... et finalement, la jeune femme fut incapable d'en supporter davantage. Sous ses yeux se déroulait un véritable carnage, une lutte sans merci, un duel implacable. Elle prit sa tête dans ses mains, essayant de chasser ces images d'une rare violence et se retrouva accroupie contre le mur, prostrée, incapable de parler."

(extrait de "Traces")

La réalité n'est pas toujours aussi évidente que ce que l'on voit. Le monde est en proie à une lutte sans merci entre les forces du Mal et celles du Bien. Malheureusement, les hommes n'en ont pas toujours conscience...

Huit nouvelles pour dire la noirceur des ennemis de l'homme, pour dire aussi que l'on n'est jamais seul(e) face au Mal. Et que le Christ a déjà vaincu. Encore faut-il apprendre à Lui faire confiance.


Plusieurs exemplaires sont déjà partis, mais il reste disponible ! Pour ceux qui souhaitent ce recueil, il vous suffit de le demander à l'adresse suivante :

amelie.platz[at]gmail.com

Bonne lecture !

samedi 1 juin 2019

Rédemption, nouvelles noires

Il arrive parfois (souvent, même !) que les événements prennent une autre tournure que celle qu'on avait envisagée au départ. C'est le cas de Traces, le recueil de nouvelles que je vous annonçais dans le billet précédent, qui ne sortira pas tout de suite. Pour l'instant, il s'agit d'un autre recueil de nouvelles, intitulé "Rédemption", qui est actuellement en cours de fabrication et dont je suis très heureuse de vous montrer la couverture !

Il sera en vente au mois de juin, au prix de 15€ auquel il faudra ajouter, si nécessaire, une petite participation aux frais d'envoi.

Pour toute commande, vous pouvez me contacter par mail : amelie.platz[at]gmail.com


dimanche 15 septembre 2013

Où l'on reparle de Rêves et Hallucinations !

Il y a environ un an (déjà !!!), paraissait mon petit recueil de nouvelles, Rêves et Hallucinations. Ma maman, en visite chez une amie, lui a offert le livre. Et voici ce qu'elle en a pensé :

Tu transmettras à ta fille toute ma sympathique admiration. Les nouvelles sont un genre littéraire particulièrement difficile dont elle se tire avec talent !
Certains de ses personnages m'ont longtemps poursuivie, et sa plume alerte m'a fait avaler les 11 récits en une seule nuit !!!Bravo !

Aliette
J'ai toujours du mal avec l'aspect commercial. J'aime bien écrire, mais je ne suis pas douée pour faire de la pub. Alors quand on reçoit ce genre de mail, quand une lectrice est conquise de la sorte, comment se taire ?
Pour toute commande, vous pouvez me contacter par mail : amelie.platz[at]gmail.com


mercredi 11 juillet 2012

Recueil de nouvelles

En fait, il est arrivé !
Si, si. Le stock est chez moi, les livres sont beaux comme tout, et je suis ravie !
Pour le commander, rien de plus simple : il suffit de m'envoyer un petit message.
Je posterai une photo de la couverture dès que je serai sortie des cartons (oui, en plus, je déménage. C'est marrant, dans la vie, comme les choses peuvent se télescoper parfois !).

Allez, zou, au dodo : des cartons, j'en ai fait toute la journée. Merci, Monsieur le libraire de les avoir gentiment fournis !

dimanche 1 juillet 2012

Rêves et Hallucinations !

Tadaaaammm !!!!

La commande est partie jeudi soir. Je recevrai donc les 200 premiers exemplaires de mon petit recueil de nouvelles dans quelques jours (normalement, dans moins d'une semaine !).
J'ai hâte de le voir arriver, de le tenir dans mes mains pour voir si les promesses de Filo ont été tenues !

Ah oui, il faut quand même que je vous montre à quoi ça va ressembler, tout ça !

Voici la couverture :

J'ai terminé le bon de commande, il partira dans quelques jours, après réception des livres. J'aurais bien fait avant, mais j'attends de savoir le poids du livre pour déterminer le montant des frais de port au plus juste (pas question de demander plus aux futurs lecteurs que le juste prix).
Je vous envoie ça très vite !

dimanche 24 juin 2012

Rêves & Hallucinations

Il y a quelques temps, j'avais contacté Filo qui propose un service d'auto-édition assistée. Pendant plusieurs mois, je n'avais pas eu de nouvelles, et puis mercredi dernier, j'ai eu la grande surprise de découvrir dans ma boîte mail un message me donnant des précisions sur mon futur nouveau best-seller (toutes proportions gardées bien sûr).
Depuis, je suis sur un petit nuage.

L'auto-édition, c'est un système que je voulais essayer pour La Messagère du Temps, et que j'avais abandonné parce que Jérôme Do. Bentzinger avait décidé d'éditer mon roman (je n'allais quand même pas cracher sur un vrai contrat à compte d'éditeur, ça aurait été stupide de ma part !).
J'aurais pu leur envoyer aussi mon recueil de nouvelles, mais j'ai le sentiment que celui-là, il a encore besoin de rester un peu confidentiel. Peut-être que les textes sont trop personnels ? Je ne sais pas. Du coup, la solution proposée par Filo me paraît la meilleure : je profite de son expertise et de son talent de graphiste-designer (important, ça, pour la couverture, la mise en page...), et de ses corrections.
Et mon livre sera "trouvable" en ligne, en librairie... en passant par moi, puisque c'est moi qui aurai le stock.
C'est une expérience que je voulais tenter, qui me plaît bien sur le principe, parce que là, je décide vraiment de tout, et du nombre d'exemplaires à imprimer en particulier. On verra bien ce que ça donnera au niveau de la diffusion !
Je vous donnerai plus d'informations très bientôt !

(c'était la bonne nouvelle de la semaine !)

Ah oui, le titre du livre ? Rêves & Hallucinations. C'est un recueil de nouvelles, dont quelques-unes publiée dans leur première version avant correction sur ce même blog. Je les ai retouchées, corrigées, pour certaines transformées... et finalement, le recueil a, je trouve, une jolie unité. 
Mais ce sera aux lecteurs de juger !

dimanche 9 octobre 2011

Jour de noces (5)

Episodes précédents : 1, 2, 3 et 4

Mariam avança d'un pas décidé dans l'allée centrale de la chapelle. Elle soutint le regard de Charles, assis au fond de la nef. Il ne devait pas savoir combien elle avait été bouleversée quelques secondes auparavant. Non, elle était forte, elle était capable de le défier. De s'en sortir. Il n'avait pas de prise sur elle. Elle savait que sa famille était au courant. Elle l'avait dit à ses parents, ainsi qu'à ceux de Charles. Mais il fallait éviter le scandale. Ne pas salir leur nom. Ne pas compromettre leur réputation. Ils avaient préféré étouffer l'histoire.

Elle en avait pris acte. Désormais, elle n'avait plus de famille. Plus de parents. Ou plutôt, si. Pendant un temps au moins, elle allait jouer leur jeu. Après tout, ils lui devaient bien ça, tous. Elle avait décidé de profiter de la situation. Quand elle avait appris à ses parents qu'elle allait se marier, elle avait senti un véritable soulagement du côté maternel. Du côté de son père, en revanche, c'était un sentiment d'étonnement qui prédominait. Elle savait pourquoi. Il n'avait jamais caché ses opinions. Pour lui, une femme qui arrivait au mariage sans être vierge était une trainée, que cette femme fût sa propre fille ne changeait rien au problème. Toutefois, sachant que la perte de sa virginité était le fait d'un viol modifiait quelque peu la donne. Mais pas forcément dans le sens que Mariam aurait cru. Non, ici, le fait d'avoir été violée ne la posait pas en victime, mais en perdante. Elle n'avait pas su résister, dire non à un homme trop entreprenant. A la honte et la destruction s'ajoutait donc le mépris de son père et l'indifférence de sa mère. Tant que cette histoire n'était pas révélée, tout irait bien et elle pourrait continuer à faire valoir son rang. Un mariage était la meilleure occasion de montrer tout le prestige de la famille, aussi les parents de Mariam avaient-ils mis les petits plats dans les grands pour que cette journée se passe au mieux, qu'elle reste dans les mémoires de tous comme la plus belle fête organisée depuis longtemps.
Mariam avait décidé que tant qu'à faire, mieux valait en profiter. Son futur mari, lui, avait savamment été tenu à l'écart de cette histoire. Il ne fallait surtout pas qu'il soit au courant. Ses parents lui avaient fait promettre le secret. Mais ce qu'ils semblaient ne pas vouloir comprendre, ou prendre en compte, c'est que personne n'est jamais dans le secret d'un couple.

Guillaume et Mariam s'étaient rencontrés deux ans auparavant, lors d'une soirée chez des amis communs. La jeune femme avait tout fait pour échapper à ce qu'elle considérait comme une corvée, mais n'avait pu se soustraire à ce que sa mère considérait comme une obligation. Elle avait fait contre mauvaise fortune bon cœur, et accepté d'y aller. La rencontre avec Guillaume avait été naturelle, franche, étonnante. Immédiatement, elle avait su que c'était lui. Qu'ils ne seraient plus jamais séparés, et que s'il ne pouvait pas effacer le passé, lui, au moins, était capable de l'aider à guérir. Pendant des mois, ils avaient parlé, discuté de ce qu'ils devaient faire, essentiellement à propos du carcan familial dont ils se sentaient tous les deux totalement prisonniers. Elle avait mis des mois, mais elle avait fini par lui parler de son passé. Il avait alors mieux compris certaines de ses réactions et, progressivement, l'avait amenée à accepter de se faire aider.
Deux ans plus tard, elle était là, s'apprêtant à s'unir pour la vie avec Guillaume. Tout irait bien, elle le savait. La journée serait en effet mémorable.

La cérémonie se déroula sans embûches. Il ne pouvait pas y en avoir : les parents de Guillaume, tout comme les siens, avaient fait en sorte que tout se passe bien. C'était le bon côté des choses : ils tenaient tous tellement à leur image et à leur réputation qu'il était impossible qu'il y ait la moindre fausse note durant la journée.
Le cocktail fut à l'image de la cérémonie : parfait, lisse, magnifique. Et à l'initiative des mariés (c'était leur seule demande), la soirée débuta directement par l'ouverture du bal. La première danse fut pour eux seuls, face à tous. L'occasion pour eux de montrer à tous qu'ils s'aimaient. Et avant que la musique ne reprenne, Mariam se dirigea vers le micro, accompagné de son mari, et prit la parole.

"Vous êtes venus ce jour pour assister à notre mariage. Soyez-en tous remerciés. Presque tous, du moins. Un certain nombre d'entre vous sont nos amis sincères, et nous aiment. Nous le savons. Et nous savons aussi que vous nous pardonnerez ce qui va suivre, parce que vous nous comprendrez. Pour les autres, nous savons que vous êtes trop englués dans vos certitudes, que vous êtes trop préoccupés par votre image pour penser un instant à notre bonheur. Nous ne ferons pas de grande déclaration. Nous remercions nos amis de nous avoir accompagnés jusque là.
Nous n'assisterons pas à ce dîner organisé par nos parents pour le seul plaisir de montrer leur classe et leur bon goût, pour le seul bénéfice de leur propre image. Nous partons, définitivement. Ni Guillaume, ni moi, ne nous reconnaissons plus dans nos familles, nous savons que ceux qui nous aiment vraiment nous comprendront et ne nous en voudront pas. D'ailleurs, ils ne sont pas obligés de rester ! Cette danse que nous venons d'exécuter devant vous est pour nous la dernière. Vous pouvez continuer, sans nous. Quand une famille n'est même pas capable de soutenir, d'aider l'un de ses membres par crainte de voir son image ternie en cas de révélation d'un scandale, cette personne ne peut que prendre acte et quitter cette famille toxique. C'est ce que nous avons décidé de faire. Papa, maman, vous vouliez une soirée inoubliable ? Vous voyez : nous avons exaucé votre souhait. Elle le sera forcément."

Depuis le début du petit discours de Mariam, ses parents et ceux de Guillaume voyaient la terre s'ouvrir devant eux, sous leurs pieds. Tous les regards s'étaient dirigés vers eux au moment où Mariam les avait évoqués. La honte se lisait sur leurs visages, les quelques amis des mariés présents voyaient enfin la vérité se faire jour, et y prenaient visiblement grand plaisir. Dès que Mariam rendit le micro à l'animateur de la soirée, des applaudissements, de plus en plus nourris, commencèrent dans un coin de la salle immense qui avait été louée et décorée avec soin pour l'occasion. Les mariés quittèrent la salle par la grande porte, croisant ceux des invités au cocktail qui s'attardaient encore dans le hall et qui avaient entendu une partie de l'intervention de Mariam. Les visages affichaient pour les uns de l'étonnement, pour d'autres la joie de voir les jeunes gens prendre enfin leur indépendance ; pour la plupart, membres des familles, c'était la honte, l'incompréhension, le doute aussi...
La voiture de luxe louée par le père de Mariam pour les conduire depuis la chapelle jusqu'au château où avait lieu la soirée les attendait devant la porte. Guillaume y chargea rapidement deux petites valises contenant leurs effets personnels, tout ce qu'ils possédaient.
Leur vie était désormais ailleurs. Ils étaient heureux. Seuls et sans rien, ils n'avaient pas peur : le monde leur appartenait.
Et le pari était gagné : personne n'oublierait jamais cette journée. Quant à l'image des deux familles, c'était une autre histoire...

Amélie Platz, 9 octobre 2011


Voici donc ma participation au jeu d'Eiluned (ouf ! J'ai rattrapé mon retard ! On applaudit bien fort !), "Rendez-vous avec un mot". Et cette semaine, le mot était "Danse".

dimanche 17 avril 2011

A "La Route du temps"

C'est dimanche, c'est l'atelier chez Gwen :
Aujourd'hui, l'inspiration viendra du thé. Gwen nous propose en effet 15 noms de thés de chez Mariage Frères, dont 10 au minimum devront figurer dans le texte.

Voici les noms en question :

  1. La route du temps
  2. Maharadjah
  3. Fleur du désir
  4. Mikado
  5. Trois noix
  6. Elixir d’amour
  7. Exposition coloniale
  8. Montagne d’or
  9. Duvet du dragon
  10. Guerriers
  11. Moon Palace
  12. Comète
  13. Fall in love
  14. Haute mer
  15. Grands Augustins
Et voici mon texte :


À « La Route du temps »

Andrea se préparait à sortir du Moon Palace, le plus grand hôtel de la ville, où elle était réceptionniste. Il était 17 heures, tea time, et elle allait comme chaque jour passer sa pause avec sa meilleure amie. Dans deux heures, il lui faudrait déjà retourner à son poste et subir les assauts incessants du téléphone et... de Robert.
Robert était garçon de salle et travaillait au restaurant du « Monn P. », comme tous l'appelaient entre eux. Rien qu'à voir sa face ravagée par les séquelles de l'acné juvénile, Andrea avait pitié de lui. Elle le trouvait affreux, mais, le pauvre, ce n'était pas vraiment de sa faute. On a le physique qu'on a, et on n'y peut rien ! En revanche, avoir un comportement lourd-dingue, ça, oui, on y peut quelque chose. Et Robert ne semblait pas se rendre compte de la répulsion qu'il lui inspirait. Il était le Maharadjah et semblait persuadé que sa simple présence rendait tout élixir d'amour inutile : les filles ne pouvaient que tomber dans ses bras, transies de désir et d'amour par sa seule présence.
Il appréciait particulièrement Andrea, d'ailleurs : jamais il ne manquait une occasion de lui parler, même et surtout (selon Andrea) si c'était pour lui dire des banalités ou, pire, pour lui raconter des bobards dans le but évident de l'épater. La dernière fois (la veille !), il était venu la voir à la réception alors qu'elle était plongée dans un roman qu'elle venait de s'offrir, « Fleur du désir ». Et le voilà qui se lance dans une histoire rocambolesque de naufrage en haute mer, lors d'un voyage qu'il aurait fait en Chine l'année précédente. Le bateau aurait, selon lui, coulé à quelques centaines de mètres de la côte (ouais, on n'est pas en « haute mer », là !) et il aurait vu, depuis le canot de sauvetage où il avait trouvé refuge avec les autres rescapés, sept guerriers fantastiques, gravissant la Montagne d'Or qui doit son nom à l'aspect qu'elle prend au coucher du soleil.
Mouais. Pas très crédible, tout ça ! Et de toute faon, Andrea s'en fichait pas mal. Et elle aurait bien aimé retourner auprès de Manolo, le héros de « Fleur du désir ». Lui, au moins, c'était un homme, un vrai ! Beau, viril, grand, musclé, intelligent... le gendre idéal et surtout le genre d'homme qu'elle rêvait de voir dans son lit.
Elle avait été sauvée de Robert et de son sauvetage rocambolesque par l'arrivée d'un des plus importants clients de l'hôtel : l'invité d'honneur du vernissage de l'exposition sur l'Exposition Coloniale sise au Musée des Arts primitifs du quartier voisin.

Andrea se rendit au salon de thé « La Route du temps », dans la rue des Grands Augustins. Elle y avait rendez-vous avec Lucie, sa meilleure amie, comme tous les après-midi. Toutes deux se connaissaient depuis l'enfance et rêvaient de la même chose : la rencontre du Prince Charmant. Elles aimaient bien ce salon de thé, pour l'atmosphère mystérieuse et feutrée qu'il dégageait. L'endroit était calme, très fréquenté mais suffisamment vaste pour préserver l'intimité propice aux confidences. Et on y dégustait les meilleures pâtisseries du quartier. Lucie était déjà installée quand Andrea poussa la porte. Elles étaient des habituées et la jeune serveuse les connaissait bien. Aussi avait-elle attendu l'arrivée d'Andrea avant de venir à leur table.
Lucie commanda un chocolat chaud et un gâteau chocolat-trois noix (spécialité de la maison), pendant qu'Andrea jetait son dévolu sur une mousse au chocolat et un thé Darjeeling.
Lucie était curieuse de connaître les dernières péripéties du Moon Palace et les nouvelles frasques de Robert. Elle attendait les récits truculents de son amie avec gourmandise et se nourrissait pleinement de la vie mouvementée d'Andrea, palliatif au vide existentiel qui caractérisait la sienne. Andrea ne savait jamais sur quel pied danser, d'ailleurs. Lucie était très secrète, elle ne racontait rien ou presque de ses journées, mais c'était une oreille formidable, capable de l'écouter s'épancher pendant des heures. Aussi Andrea ne se posait-elle pas trop de questions, faisant chaque jour à Lucie un compte-rendu détaillé de la vie du Palace.

Ce soir-là, Andrea décela chez Lucie une tristesse sourde, mais alors qu'elle s'apprêtait à lui demander ce qui se passait, Lucie la regarda avec son étrange sourire et l'enjoignit à raconter. Andrea hésita mais, pressée par Lucie, elle se décida. En réalité, la vie au Palace était morne et on ne peut plus normale. Depuis des mois, Andrea brodait et la racontait en l'enjolivant, histoire de donner un semblant d'intérêt à sa vie si vide. D'embellissements en inventions, elle avait fini par croire à la fable qu'elle avait construite et s'était enferrée dans le mensonge. Il lui était maintenant délicat d'en sortir, à moins de briser totalement le rêve. Mais Andrea savait aussi sa construction très fragile : d'un mensonge à un autre, il suffisait d'oublier un détail pour que le château de cartes ne s'écroule. Comme dans le jeu du mikado, Andrea devait faire attention à tous ces détails et elle se rendait bien compte que le tout devenait de plus en plus alambiqué et peu crédible.
Et plus elle racontait, plus elle comprenait.

La vie de Lucie était vide, nue. Son amie ne vivait que par procuration et se nourrissait intégralement des récits d'Andrea. Et petit à petit, Andrea avait fini par ne voir en son amie qu'un faire-valoir, une pauvre fille sans le moindre intérêt. Elle voyait combien elle était terne, sans éclat, sans originalité, sans personnalité.

Mais ce qu'elle voyait en creux, comme en miroir, n'était guère reluisant. L'image qu'elle voyait d'elle-même lui faisait honte. Sa suffisance, son insignifiance, sa culpabilité et son orgueil démesuré. Elle voyait aussi le vide abyssal de sa vie et se rendait compte qu'elle n'avait rien à apprendre à Lucie. Et surtout que Lucie n'avait rien à lui envier.
Finalement, Robert et elle étaient pareils. Ses mensonges à elle étaient crédibles. Les siens ne l'étaient pas mais la faisaient sourire, il la faisait rêver. Avec ses histoires de comètes ou de duvet de dragon, il la faisait voyager, rire, il embellissait son quotidien. Mais ses mensonges à elle ne faisaient que démolir les rares moments ensoleillés de sa vie.

Lucie termina sa part de gâteau et sourit. Quelque chose dans les yeux de son amie lui indiquait qu'elle avait enfin compris.

Amélie Platz, 17 avril 2011

dimanche 10 avril 2011

En voiture !

Ce dimanche, Gwen nous a proposé un atelier simple et sympa :

Sur la route des vacances !
Racontez-ce trajet – pépère ou bien explosif, planifié ou bien complètement improvisé – avec au moins trois personnages et quelques péripéties pour mieux nous amuser… Pas d’autre limitation ce dimanche, profitez-en!

J'avoue m'être bien amusée à l'écriture de ce petit texte. J'espère que vous prendrez plaisir à le lire !


En voiture !

« Chérie, tu es prête ? Il faut y aller !
- J'arrive ! Tu as pensé à couper l'eau ?
- Et le gaz, oui. J'ai fermé les volets et les légumes qui restaient sont dans la glacière.
- Et les enfants ?
- Aussi. Mais tu sais, il n'ont plus 3 ans, hein ! Et j'aimerais qu'on commence à avancer avant qu'ils ne se réveillent !
- Oui, je sais. J'arrive... »

Et voilà, ça y est. Il est 5 heures du matin et nous sommes sur le point de partir à l'autre bout du pays. Mais pourquoi faut-il toujours que Papa et Maman se disputent au moment du départ ? De toute façon, on commence toujours par un tour de chauffe. Ils feraient mieux de nous laisser dormir et de revenir nous chercher après le faux départ. Au moins, ils auraient une raison valable de revenir à la maison avant le vrai... Qu'est-ce que ça va être, cette fois ? Le GPS ? Le chargeur du téléphone portable de maman ? La glacière ? La porte d'entrée qu'ils auront oubliée de fermer, croyant chacun que l'autre l'a fait ? Les paris sont ouverts !
En tout cas, Camille et moi, on est peinards. On a tout ce qu'il faut : baladeur, gâteaux, oreillers, couette : de quoi manger, se distraire et dormir. Survivre, quoi, à 1000 km de voiture.

***

Ouf, ça y est, nous sommes partis ! Comme d'habitude, il a fallu faire marche arrière. A la sortie de la ville, devant l'hypermarché où maman fait les courses, elle s'est rendu compte qu'on avait oublié... Oscar ! Si ! Véridique ! C'est une première, celle-là, ils ne nous l'avaient jamais faite ! Ca doit être une question d'association d'idées, ça : Hypermarché = courses = manger = croquettes = chien = Oscar.
Moi, j'espérais que pour une fois, il resterait à la maison. Florent, lui, il l'aime, ce chien. Pas moi. Je ne comprends pas d'ailleurs comment, lui et moi on peut être frère et sœur. Pire : jumeaux.
En tout cas, ça y est : nous sommes sur la route pour au moins 12 heures. Il est 5h30 du matin, et je suis déjà malade. C'est cool. Comme d'hab', je vais donc dormir, ou faire semblant, pendant tout le voyage. Rien d'autre à faire, de toute façon : si on me parle, je vais vomir. Au moins, comme ça, j'aurai la paix. Florent est pénible en ce moment avec ses blagues vaseuses. Il est pénible...

« Camille, tu dors ? Florent, qu'est-ce qu'elle a, ta sœur ?
- Ben je sais pas, moi ! Elle dort, ouais, j'crois. Ou p'têt' qu'elle fait semblant, la chochotte !
- Florent ! Si ta sœur est fatiguée, c'est normal qu'elle dorme ! Elle s'est levée tôt !
- Ouais c'est ça. Et pas nous, peut-être ? Bon, on arrive quand, maman ?
- Le GPS indique 17 heures, mais il faudra qu'on s'arrête pour manger et faire de l'essence...
- C'est bon, j'ai compris. Réveillez-moi pour le déjeuner, alors !
- Ah, ces enfants ! François, tu ne dis rien ? Tu as vu comment Florent me parle ? Et Camille qui m'ignore !
- Calme-toi, Maud. Au moins, quand ils dorment, ils ne se tapent pas dessus, et nous, on est tranquilles ! »

***

« Les enfants, vous venez m'aider à sortir le pique-nique ! Florent ! Va faire faire un tour à Oscar, s'il te plaît !
- Maman ! J'ai pas fini ma partie !
- Tu la continueras après le repas ! Et baisse le son : cette musique électronique va me rendre dingue !
- Ouais, Florent ! Et toi, ta DS va te griller les deux neurones qui te restent !
- C'est ça, Camille ! En tout cas, les miens, il servent, eux !
- Maman !!! Florent, il m'a...
- J'ai entendu, Camille. Mais avoue que tu l'as cherché, cette fois ! Viens plutôt m'aider ! »

Eh voilà, le grand cirque recommence. Je vais les laisser se débrouiller et je vais marcher un peu. Ça me fera du bien, et au moins, je serai un peu dans le calme. Je les aime, tous les trois. Maud est une femme merveilleuse et les enfants sont formidables, pleins de vie... Mais bon, 1000 bornes enfermés dans une voiture, ça laisse des traces. J'ai hâte d'arriver. Et je vous jure que si l'un d'eux a le malheur de me réveiller demain matin, ça va faire très mal !

***

« Maman ! Camille est toute blanche !
- Camille ? Ça ne va pas, ma chérie ?
- ...
- Mais réponds-moi, enfin !
- ...
- Maman... J'crois que si elle ouvre la bouche, ça va pas être beau, c'qui va sortir !
- Enfin, François ! Arrête-toi, voyons ! Tu vois bien que ta fille est malade !
- Ta fille ! C'est pas la tienne peut-être ?
- Arrête ! Tu sais ce que je veux dire !
- C'est bon, je m'arrête, mais pas longtemps, parce que sinon, on n'arrivera jamais !
- Vite, François, elle n'est vraiment pas bien... »

Ma pauvre petite Camille... elle n'a jamais supporté la voiture. Chaque trajet de plus de 15 minutes est un vrai calvaire pour elle. Je pensais qu'avec le temps, ça passerait, mais non. Comment faire pour qu'elle supporte mieux les voyages ? On ne va quand même pas rester à la maison toutes les vacances à cause d'elle, si ? Ça ira peut-être mieux quand elle aura le permis, mais elle n'a que 13 ans...

***

La voiture s'engagea dans l'allée menant à la propriété des parents de Maud. Camille fut la première à ouvrir la porte et elle resta quelques instants assise dans la voiture, avant d'aller marcher au grand air. Mamie Colette, comme à chacune de leurs arrivées, se dirigea directement vers Maud qu'elle déchargea de son sac de voyage. François commença par pester de se voir ignoré de la sorte par sa belle-mère puis, philosophe, il fit le tour de la voiture pour aider ses enfants et son beau-père à la décharger. Il salua le père de Maud d'un signe. Tous les deux savaient ce qu'il en était. Au bout de 17 ans, ils n'avaient plus besoin d'explications : un regard et un sourire suffisaient.
Florent se mit à courir avec Oscar dans l'allée par laquelle ils étaient arrivés. Il ramassa un bout de bois et le lança au chien qui partit à fond de train : ils avaient tous les deux besoin de se dégourdir les jambes.

« Et comment va ma jolie princesse ?
- Bien, Papi Pierre. J'ai été malade sur la route, mais...
- Ta mère et ta grand-mère n'ont jamais supporté la voiture non plus, Camille. Ca passera quand tu conduiras.
- Oui, Papi, je sais. Tu me le dis à chaque fois qu'on arrive...
- Je ne suis qu'un vieux radoteur, hein ? »

Camille sourit à son grand-père. Certaines choses ne changeaient pas. Et elle espérait que ça ne changerait jamais, même si au fond d'elle-même, le petit pincement revenait.

Elle ferma les yeux un instant, puis les rouvrit : les vacances commençaient, et elle était bien décidée à en profiter.


Amélie Platz, 10 avril 2011

lundi 4 avril 2011

Wanted version 2

Le texte d'hier ne me plaisait pas tel quel. Il y manquait quelque chose expliquant qui est l'homme qui raconte l'histoire. En soi, il peut se lire comme un enquêteur qui tente de reconstituer la vie d'une personne disparue, mais ça peut être tout autre chose : il suffit parfois d'une phrase pour changer toute la perspective d'un texte.
J'ai donc rajouté une phrase à la fin (oui, pour ceux qui ont déjà lu la version 1, vous pouvez aller directement à la dernière ligne !).
Enjoy !


Wanted !

« Toute cette affaire finira par me rendre fou ! Tout cela est tellement absurde ! Je n'ai jamais vu un tel ramassis d'objets, un tel fouillis parmi les pièces à conviction d'une enquête. Et tout ça pour retrouver un homme dont personne n'est absolument certain qu'il existe vraiment ! C'est à devenir dingue, non ?
C'est vrai, quoi ! On a son shampooing, mais aucun cheveu. Pas la plus petite trace d'ADN, pas le moindre bulbe disponible pour la plus petite recherche ! C'est la même chose avec sa brosse à dents : elle est nickel ! Et pour cause : ce gars doit être un maniaque. Il a poussé le vice jusqu'à vider la poubelle de la salle de bains, où il a du jeter l'ancienne brosse après s'être lavé les dents, et il a mis la nouvelle dans le gobelet sur le lavabo avant d'en avoir besoin ! Résultat, comme il a disparu dans la matinée qui a suivi, eh ben... il ne l'a jamais utilisée, sa brosse à dents !
J'ai cru que la chance avait tourné quand j'ai découvert le téléphone et la boîte de biscuits. Seulement, le téléphone date des années 70, et bien sûr, ce n'est pas un DECT. Il n'a pas la touche « bis », ni la « R » non plus, et le « 3131 » ne fonctionne pas. Vu l'antiquité, ce n'est pas la peine de chercher le répondeur, et de toute façon, ce serait trop simple. Alors j'ai bien appelé la compagnie de téléphone, pour avoir le relevé des appels entrants et sortants, mais figurez-vous que cette ligne n'a pas servi depuis... au moins 15 ans ! Il a du s'acheter un portable...
Les gars du labo ont fait du bon boulot, pourtant : le téléphone était couvert d'empreintes ! Mais... le propriétaire de ces empreintes n'est pas fiché ! C'est drôlement utile, ça, des empreintes qui n'appartiennent à personne ! Je vais militer pour le fichage de tout le monde dès la naissance, moi. Au moins, on pourra retrouver l'identité des disparus !
Bref, j'ai eu quand même un grand espoir quand j'ai vu la boîte de biscuits. Une classique vieille boîte de biscuits danois bleue en fer-blanc, dans laquelle on peut mettre des tas de choses : de l'argent, des bijoux, des photos... J'ai senti mon cœur battre très très fort quand je l'ai trouvée, cette boîte ! Elle allait sûrement me révéler plein d'informations sur l'homme que je recherche : sa vie, sa compagne, sa famille, son pécule, ses trésors, ses manies... Si ça pouvait être des photos ! Avec un peu de chance, il y en aurait peut-être une de lui ? Parce que rechercher quelqu'un sans savoir à quoi il ressemble, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour ma part, je trouve ça un tantinet compliqué.
Donc, j'ai ouvert la boîte, qui contenait... Rhââââ !!!! Des biscuits ! Oui ! Périmés, cassés, en miettes, mais des biscuits quand même ! C'est incroyable, ça ! Ce gars garde des biscuits chez lui, des biscuits qu'il ne mange même pas ! Et quand on voit l'âge de la boîte, ça fait peur pour la fraîcheur de ce qu'elle contient, je ne vous dis que ça ! Alors soit il est dingue, soit il n'aime pas les biscuits ! C'est possible, ça ??? Ne pas aimer les biscuits ??? Mais pourquoi il en a dans son placard alors ? Pour avoir quelque chose à offrir à ses visiteurs ? Si j'en juge par l'âge de la boîte, il doit être misanthrope !
Ce qui m'a fait le plus marrer, dans la caisse que m'ont ramenée les collègues, ce sont les règles en métal et le compas géant pour tableau noir ! J'ai eu l'impression d'être retourné à l'école, comme quand j'étais gamin !
En tout cas, ça nous met sur la voie : Nous cherchons un prof de maths maniaque et misanthrope qui n'aime pas les gâteaux ! C'est un début, ça, non ? Il a des cheveux, parce que sinon, il n'aurait pas besoin de shampooing, mais soit il est vieux, soit il habite avec sa vieille mère.
Il y a des indices qui me font pencher vers la seconde solution : statistiquement, les femmes sont plus sujettes aux maux de tête que les hommes. Ce qui explique la boîte d'aspirine trouvée dans la salle de bains à côté de la brosse à dents. Et la botte en cuir fait penser qu'il pourrait être relativement jeune. J'évalue son âge à 40 ou 50 ans environ. En tout cas, il est sportif, ou il l'a été, plutôt (ce qui semble confirmer l'évaluation de son âge) : sa raquette de ping-pong a bien servi, mais comme je n'ai pas vu de balle, j'en conclus qu'il ne joue plus ou qu'il n'a pas joué récemment (ou qu'il a perdu sa balle, c'est une possibilité aussi, mais si on l'admet comme juste, ça peut flanquer tout mon raisonnement par terre, alors on va dire qu'elle est fausse).
Un prof de maths misanthrope et maniaque qui vit chez sa mère, ex-joueur de ping-pong n'aimant pas les biscuits. Ca c'est du portrait-robot ou je ne m'y connais pas !
Bon ben... y'a plus qu'à le retrouver, ce gusse. En tout cas, il doit être classe : il porte des chemises assorties à son pantalon et des pulls fins en laine. Je parie que c'est un col en V : c'est plus pratique sur une chemise et ça gratte moins dans le cou. Donc, en plus, ce monsieur aime le confort, la chaleur et son bien-être personnel. D'ailleurs il prend soin de lui : j'ai même trouvé un flacon de parfum dans ses affaires ! Si, il veut séduire, c'est indéniable ! Un Don Juan peut-être ? Mais comme il est misanthrope, il fait peut-être tout ça pour sa vieille mère ? C'est mignon tout plein, ça !

Ah mais... Je n'avais pas vu... Là, au fond de la caisse, il y a encore deux-trois bricoles... Une boîte de recharge polaroid et l'emballage de pellicules Kodak ! Ce qui est sûr, c'est que ce mec est contre les photos retouchées ! Les polaroids sont les seules photos qu'on utilise à la police parce que ce sont les seules à développement instantané ! Donc impossibles à retoucher ! Je commence à l'aimer, ce type ! Il aime la vérité, la réalité brute, et s'il utilise les pellicules Kodak, c'est qu'il a opté pour l'argentique. Il a bien raison : les tirages en numérique sont totalement minables. Il suffit d'un peu de soleil dessus pour que les couleurs changent, se transforment et que la photo soit totalement dénaturée ! Non, l'argentique, c'est l'avenir des photos ! La seule technique qui permette de les conserver. Y'a qu'à voir les photos de nos grands-parents : au moins, ces tirages-là, ils ne bougent pas !
Tout le problème, c'est de retrouver les pellicules, l'appareil et les photos. Qu'est-ce qu'il a bien pu en faire ? Il faudra que j'aille chez lui, un de ces quatre : il va falloir tout fouiller à nouveau, peut-être qu'on n'a pas bien cherché ? Chez lui... C'est marrant... On sait où il habite, à quoi il peut ressembler, on a une idée de sa manière de vivre, de ses hobbies, de son passé, de sa profession... mais aucune trace tangible de son existence. En tout cas, c'est un érudit, parce que pour se farcir la Sociodynamique de Moles, faut être motivé ! Ou dingue, c'est selon.
Oh... mais... là, entre les pages 88 et 89... une photo ! Aurions-nous une piste ? Enfin ?
Il y a une femme dessus... la photo est vieille en tout cas. Si ça se trouve, c'est sa mère...

Pfff... Décidément, j'ai beau tourner et retourner ces éléments dans tous les sens, je ne trouve pas où, ni surtout qui il peut être...

Quels que soient les éléments que l'on a, quelles que soient les informations dont on dispose sur quelqu'un, il semble qu'une personne puisse rester une énigme... Non ?

- Euh... c'est aussi ce qui rend mon métier si passionnant ! », répondit le psychiatre.

Amélie Platz, 4 avril 2011

dimanche 3 avril 2011

Wanted !

Un nouvel atelier aujourd'hui chez Gwen. Voici mon texte, et j'ai pris la liberté de copier ici la photo pour que les lecteurs s'y retrouvent un peu mieux.

Wanted !

Toute cette affaire finira par me rendre fou ! Tout cela est tellement absurde ! Je n'ai jamais vu un tel ramassis d'objets, un tel fouillis parmi les pièces à conviction d'une enquête. Et tout ça pour retrouver un homme dont personne n'est absolument certain qu'il existe vraiment ! C'est à devenir dingue, non ?
C'est vrai, quoi ! On a son shampooing, mais aucun cheveu. Pas la plus petite trace d'ADN, pas le moindre bulbe disponible pour la plus petite recherche ! C'est la même chose avec sa brosse à dents : elle est nickel ! Et pour cause : ce gars doit être un maniaque. Il a poussé le vice jusqu'à vider la poubelle de la salle de bains, où il a du jeter l'ancienne brosse après s'être lavé les dents, et il a mis la nouvelle dans le gobelet sur le lavabo avant d'en avoir besoin ! Résultat, comme il a disparu dans la matinée qui a suivi, eh ben... il ne l'a jamais utilisée, sa brosse à dents !
J'ai cru que la chance avait tourné quand j'ai découvert le téléphone et la boîte de biscuits. Seulement, le téléphone date des années 70, et bien sûr, ce n'est pas un DECT. Il n'a pas la touche « bis », ni la « R » non plus, et le « 3131 » ne fonctionne pas. Vu l'antiquité, ce n'est pas la peine de chercher le répondeur, et de toute façon, ce serait trop simple. Alors j'ai bien appelé la compagnie de téléphone, pour avoir le relevé des appels entrants et sortants, mais figurez-vous que cette ligne n'a pas servi depuis... au moins 15 ans ! Il a du s'acheter un portable...
Les gars du labo ont fait du bon boulot, pourtant : le téléphone était couvert d'empreintes ! Mais... le propriétaire de ces empreintes n'est pas fiché ! C'est drôlement utile, ça, des empreintes qui n'appartiennent à personne ! Je vais militer pour le fichage de tout le monde dès la naissance, moi. Au moins, on pourra retrouver l'identité des disparus !
Bref, j'ai eu quand même un grand espoir quand j'ai vu la boîte de biscuits. Une classique vieille boîte de biscuits danois bleue en fer-blanc, dans laquelle on peut mettre des tas de choses : de l'argent, des bijoux, des photos... J'ai senti mon cœur battre très très fort quand je l'ai trouvée, cette boîte ! Elle allait sûrement me révéler plein d'informations sur l'homme que je recherche : sa vie, sa compagne, sa famille, son pécule, ses trésors, ses manies... Si ça pouvait être des photos ! Avec un peu de chance, il y en aurait peut-être une de lui ? Parce que rechercher quelqu'un sans savoir à quoi il ressemble, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour ma part, je trouve ça un tantinet compliqué.
Donc, j'ai ouvert la boîte, qui contenait... Rhââââ !!!! Des biscuits ! Oui ! Périmés, cassés, en miettes, mais des biscuits quand même ! C'est incroyable, ça ! Ce gars garde des biscuits chez lui, des biscuits qu'il ne mange même pas ! Et quand on voit l'âge de la boîte, ça fait peur pour la fraîcheur de ce qu'elle contient, je ne vous dis que ça ! Alors soit il est dingue, soit il n'aime pas les biscuits ! C'est possible, ça ??? Ne pas aimer les biscuits ??? Mais pourquoi il en a dans son placard alors ? Pour avoir quelque chose à offrir à ses visiteurs ? Si j'en juge par l'âge de la boîte, il doit être misanthrope !
Ce qui m'a fait le plus marrer, dans la caisse que m'ont ramenée les collègues, ce sont les règles en métal et le compas géant pour tableau noir ! J'ai eu l'impression d'être retourné à l'école, comme quand j'étais gamin !
En tout cas, ça nous met sur la voie : Nous cherchons un prof de maths maniaque et misanthrope qui n'aime pas les gâteaux ! C'est un début, ça, non ? Il a des cheveux, parce que sinon, il n'aurait pas besoin de shampooing, mais soit il est vieux, soit il habite avec sa vieille mère.
Il y a des indices qui me font pencher vers la seconde solution : statistiquement, les femmes sont plus sujettes aux maux de tête que les hommes. Ce qui explique la boîte d'aspirine trouvée dans la salle de bains à côté de la brosse à dents. Et la botte en cuir fait penser qu'il pourrait être relativement jeune. J'évalue son âge à 40 ou 50 ans environ. En tout cas, il est sportif, ou il l'a été, plutôt (ce qui semble confirmer l'évaluation de son âge) : sa raquette de ping-pong a bien servi, mais comme je n'ai pas vu de balle, j'en conclus qu'il ne joue plus ou qu'il n'a pas joué récemment (ou qu'il a perdu sa balle, c'est une possibilité aussi, mais si on l'admet comme juste, ça peut flanquer tout mon raisonnement par terre, alors on va dire qu'elle est fausse).
Un prof de maths misanthrope et maniaque qui vit chez sa mère, ex-joueur de ping-pong n'aimant pas les biscuits. Ca c'est du portrait-robot ou je ne m'y connais pas !
Bon ben... y'a plus qu'à le retrouver, ce gusse. En tout cas, il doit être classe : il porte des chemises assorties à son pantalon et des pulls fins en laine. Je parie que c'est un col en V : c'est plus pratique sur une chemise et ça gratte moins dans le cou. Donc, en plus, ce monsieur aime le confort, la chaleur et son bien-être personnel. D'ailleurs il prend soin de lui : j'ai même trouvé un flacon de parfum dans ses affaires ! Si, il veut séduire, c'est indéniable ! Un Don Juan peut-être ? Mais comme il est misanthrope, il fait peut-être tout ça pour sa vieille mère ? C'est mignon tout plein, ça !

Ah mais... Je n'avais pas vu... Là, au fond de la caisse, il y a encore deux-trois bricoles... Une boîte de recharge polaroid et l'emballage de pellicules Kodak ! Ce qui est sûr, c'est que ce mec est contre les photos retouchées ! Les polaroids sont les seules photos qu'on utilise à la police parce que ce sont les seules à développement instantané ! Donc impossibles à retoucher ! Je commence à l'aimer, ce type ! Il aime la vérité, la réalité brute, et s'il utilise les pellicules Kodak, c'est qu'il a opté pour l'argentique. Il a bien raison : les tirages en numérique sont totalement minables. Il suffit d'un peu de soleil dessus pour que les couleurs changent, se transforment et que la photo soit totalement dénaturée ! Non, l'argentique, c'est l'avenir des photos ! La seule technique qui permette de les conserver. Y'a qu'à voir les photos de nos grands-parents : au moins, ces tirages-là, ils ne bougent pas !
Tout le problème, c'est de retrouver les pellicules, l'appareil et les photos. Qu'est-ce qu'il a bien pu en faire ? Il faudra que j'aille chez lui, un de ces quatre : il va falloir tout fouiller à nouveau, peut-être qu'on n'a pas bien cherché ? Chez lui... C'est marrant... On sait où il habite, à quoi il peut ressembler, on a une idée de sa manière de vivre, de ses hobbies, de son passé, de sa profession... mais aucune trace tangible de son existence. En tout cas, c'est un érudit, parce que pour se farcir la Sociodynamique de Moles, faut être motivé ! Ou dingue, c'est selon.
Oh... mais... là, entre les pages 88 et 89... une photo ! Aurions-nous une piste ? Enfin ?
Il y a une femme dessus... la photo est vieille en tout cas. Si ça se trouve, c'est sa mère...

Pfff... Décidément, j'ai beau tourner et retourner ces éléments dans tous les sens, je ne trouve pas où, ni surtout qui il peut être...

Quels que soient les éléments que l'on a, quelles que soient les informations dont on dispose sur quelqu'un, il semble qu'une personne puisse rester une énigme... Non ?

Amélie Platz, 3 avril 2011

dimanche 27 mars 2011

Frissons nocturnes

Aujourd'hui dimanche, jour d'élections dans notre canton, mais aussi de l'atelier d'écriture chez Gwen. Et aujourd'hui, les consignes étaient assez précises :
- La nuit
- Une rue sombre
- Des talons hauts
- Une silhouette furtive
- Et la désagréable sensation de ne pas être seul(e).
A nous, à partir de ces contraintes, de faire sentir la mécanique implacable du frisson.

Voilà mon texte :


La lumière blafarde des réverbères éclairait la rue par endroits. Mais à plus de vingt-trois heures, malgré l'éclairage public, les zones d'ombre restaient nombreuses. L'homme marchait sur le trottoir longeant le pont. Au-dessous de lui, la rivière s'écoulait ; les flots avaient grossi depuis les dernières pluies et il se fit la réflexion que le courant devait être particulièrement fort à cet endroit.
Il s'arrêta et s'approcha du parapet pour observer un moment la nuit. Il aimait cette atmosphère calme et silencieuse à cette heure. Dans la petite ville qu'il habitait, rares étaient les personnes qui s'aventuraient dehors au-delà de 21 heures. De toute façon, il n'y avait pas grand-chose à faire : les bars fermaient tôt, et le cinéma le plus proche se trouvait à V***, à 10 kilomètres de là.
Il se concentra sur le cours d'eau et ses flots tumultueux. Ses yeux s'acclimataient à la pénombre et il commençait à mieux distinguer les abords du pont. A cet endroit-là, l'éclairage était totalement absent, lui permettant de ne pas être ébloui comme c'était le cas dans la rue qu'il venait de quitter. Il était bien. La pluie avait cessé et la température redevenait normale après l'après-midi caniculaire qui venait de s'écouler. D'ailleurs, il s'était attendu à croiser davantage de promeneurs. Peut-être l'heure tardive les avait-elle dissuadés de sortir de chez eux ?
Il en était là de ses réflexions quand il entendit un bruit léger, à peine un souffle, qui semblait venir de sa gauche. Il se tourna lentement, pour ne pas être aveuglé par le réverbère qui se trouvait un peu plus loin et laisser sa vision s'accommoder à l'afflux de lumière. Mais il ne vit rien. Sans doute que ce bruit était dû à la présence d'oiseaux de nuit ? Il les savait nombreux dans la région : chouettes, hiboux... ainsi que les chauves-souris et les rongeurs.
Le bruit recommença, plus fort, plus proche. Mais cette fois-ci, il venait de derrière lui. C'était maintenant certain : « cela » se rapprochait et tournait autour de lui. Contrairement à ce qu'il pensait, il n'était pas seul. Il allait se retourner pour voir ce qui se passait quand il entendit des bruits de pas. Il pensa d'abord à un promeneur comme lui, mais le son était étrange, syncopé. Quelqu'un semblait boiter. Un bruit de talons. Serait-ce une femme ? Il se retourna pour voir si elle arrivait derrière lui, mais la rue était déserte, ainsi que le pont sur lequel il se trouvait. Un léger frisson lui parcourut l'échine quand il se rendit compte qu'il y avait deux séries de bruits. Il les identifia très vite : il s'agissait d'une part d'une femme avec des chaussures à talons qui courait. Elle boitait, puisque le bruit d'un pas sur deux était comme en sourdine. Elle semblait être suivie par une autre personne, peut-être un homme. En tout cas, ses chaussures étaient moins bruyantes. Le frisson qu'il avait ressenti quelques instants plus tôt se reproduisit en s'intensifiant. D'où venaient les pas ? Il n'y avait personne, et pourtant, il n'était pas seul.
Il s'approcha de nouveau du parapet. Il venait de se souvenir que les bruits se propagent différemment sur l'eau, par rapport à la façon qu'ils ont de se propager sur la terre ferme. Selon les vents et l'endroit où l'on se trouve, un bruit dont l'origine se trouve derrière soi peut sembler venir de la gauche ou de la droite. Et si... ?
Il reprit son poste d'observation. Le long frisson était revenu, et il s'accompagnait maintenant d'un désir d'en savoir plus, de savoir et de voir. Quelque chose d'imminent allait se passer. Il sourit dans la nuit : il jouissait. La femme apparut sur la voie sur berge qui passait sous le pont. Elle avait visiblement perdu une de ses chaussures dans sa course, car il la vit s'arrêter, retirer la seconde et se remettre à courir. Mais il savait que c'était trop tard. L'homme qui la poursuivait allait sûrement plus vite qu'elle. Il était statistiquement plus grand, plus puissant et aussi plus rapide. Il allait la rattraper. Quelques secondes après, l'homme déboucha lui aussi de sous le pont.
Il savait que la chasse était finie. Une véritable décharge d'adrénaline parcourut tout son corps et un intense sentiment de plaisir l'envahit quand il le vit rattraper la femme.

Amélie Platz, 27 mars 2011

dimanche 20 février 2011

La pièce montée

Aujourd'hui, Gwen fête son anniversaire de mariage. 18 ans ! Chapeau bas, madame ! Et du coup, le thème d'aujourd'hui pour l'atelier, c'est... le mariage !
Je me suis donc lancée.


J'ai été travaillée avec amour. Il m'a façonnée en y mettant tout son cœur, et je suis parfaite à ses yeux, avec des proportions exceptionnelles capables de remplir d'aise la centaine d'invités de la noce.
Je suis le clou de la fête, le feu d'artifice qui doit terminer la soirée en beauté et laisser aux invités un souvenir impérissable. D'ailleurs, telle un trophée, je trône dans une pièce à la paroi vitrée, c'est un vœu des mariés, afin que tous puissent m'admirer.
Et aucun ne s'en prive, vous pouvez me croire !

En début de soirée, quand le pâtissier m'a déposée ici, j'ai bien senti combien il était fier. Fier de moi, de son œuvre, mais aussi de lui. Les mariés sont des gens importants, et c'est lui, le nouveau pâtissier du village, qui a été choisi pour réaliser le dessert du mariage ! Quel honneur c'est pour lui... je ne peux pas le décevoir, et je suis parfaite. Il sera remarqué, les parents des mariés, des notables de la bourgade, parleront bientôt de lui, le conseilleront à leurs amis influents pour leurs réceptions dans le "monde", et son affaire "décollera" enfin.
Mais des enfants se pressent déjà derrière la vitre. Ils sont tous très beaux, dans leurs costumes sur-mesure assortis. Les filles portent de jolies robes beiges avec des touches de rose sur un chemiser immaculé, et les garçons des bermudas du même beige, avec une chemise blanche et une rose à la boutonnière. Qu'ils sont élégants ! Chez les plus jeunes, la rose a bien sûr déjà disparu. Mais l'essentiel est que les photos soient réussies. Après tout, c'est ce qui restera une fois la journée terminée. C'est d'ailleurs pour cela que le photographe les a tous rassemblés avant la cérémonie : les photos devaient être parfaites !
Les visages qui me contemplent sont jolis, poupins, roses et gais. L'innocence de l'enfance est extraordinaire. Ils jouent, rient en me voyant, se réjouissant à l'avance de pouvoir dévorer mes choux à la crème et la nougatine qui les recouvre. Ils sont heureux de se retrouver, de jouer ensemble et de partager cette belle journée. Je ne connais pas leurs prénoms, mais il me semble que certains sont frères et soeurs, tandis que d'autres pourraient être leurs cousins. J'en vois un, d'ailleurs, qui semble différent, malgré le même « uniforme ». Il se tient en retrait, presque à l'écart, on dirait... Se pourrait-il qu'il ne les connaisse pas ? C'est impossible : les vêtements semblent indiquer qu'il fait partie de la même famille, ils sont tous les enfants d'honneur qui forment le cortège accompagnant la mariée à son entrée dans l'église, dans les grandes et riches familles de nos campagnes. Et puis, cette ressemblance avec les autres... l'air de famille est évident. Ah ! Voici une dame qui s'approche ! Comme elle est belle ! Et quelle grâce, quelle classe ! Je ne suis pas tombée dans un mariage bas de gamme, moi ! Que du beau monde ! Elle porte un petit chapeau très original qui lui va à ravir. Elle m'a vue et me regarde avec un grand et doux sourire. Et voici un homme également très élégant qui s'approche d'elle. Il fait signe aux enfants de retourner dans la salle et... Oh ! La jeune femme.... son joli sourire a disparu ! C'est étrange. J'ai soudain l'impression qu'elle est triste... non ! C'est de la peur que je sens ! Une peur indicible, violente et sourde. C'est presque de la terreur qui enlaidit soudainement ce visage si charmant il y a quelques secondes... Quel secret cache donc cet homme, qu'est-ce qui fait si peur à sa femme ? Elle semble paralysée... L'homme pose sa main sur son bras pour l'entraîner avec lui, et je ne pense pas m'être trompée : c'est bien un sursaut de frayeur que j'ai perçu. Elle se maîtrise pourtant exceptionnellement bien. Elle a déjà retrouvé son sourire, son maintien et sa classe. Elle prend le bras de l'homme et s'éloigne de moi, non sans m'avoir jeté un dernier regard. Mon Dieu ! Comme il a changé par rapport à celui qu'elle avait en arrivant ! Celui-ci est d'une tristesse insondable, comme si un gouffre s'était ouvert devant elle et qu'elle n'avait d'autre choix que d'y plonger... Ils sont déjà partis. L'enfant, celui qui était à l'écart, a lui aussi vu la scène. Il n'a rien dit, n'a pas esquissé un geste. Il est différent des autres et j'ai l'impression qu'il a tout compris. Mais compris quoi ?

Une autre femme s'approche. Elle se dirige vers lui, veut le prendre par la main, mais l'enfant se serre contre elle. La femme a environ trente ans, ses vêtements sont plus quelconques que ceux de la femme qui vient de partir, mais leur simplicité ne peut masquer la grâce et la prestance de cette femme qui en impose rien que par sa présence. Une immense tristesse ternit son beau visage, accentuant l'étrange ressemblance avec l'autre femme. Il y a pourtant en elle un quelque chose en plus que je ne parviens pas à définir. Elles pourraient être jumelles... Un homme dans un costume très simple, sobre et sans fioritures, arrive derrière elle et pose ses mains sur ses épaules. Il semble souffrir, compatir à la douleur de celle qui doit être sa femme. Il a l'air fort, costaud, et la soutient un moment. Je la sens hésiter, puis elle se reprend elle aussi. Son visage se raffermit, elle rajuste le col de son chemisier et remet en place une mèche rebelle. Elle suspend ses gestes un instant, les yeux fixant le sol, puis relève la tête. Son visage est maintenant impassible, déterminé. Elle prend la main de l'enfant, passe l'autre sous le bras de son époux et la petite famille regagne la salle des festivités. Ils n'ont pas dit un mot. Sans doute en avaient-ils déjà dit assez auparavant.

Un peu plus tard, j'ai la bonne surprise de voir la mariée sortir de la salle. Elle est belle, ravissante, même, et pleine d'entrain. Une nouvelle vie est en train de débuter pour elle, et elle semble très heureuse, parfaitement épanouie. Elle ressemble comme deux gouttes d'eau aux deux femmes que j'ai déjà vues tout à l'heure. Nul doute quelle est leur jeune soeur : elle a la même grâce, la même distinction qu'elles, le même regard doux et ce bonheur tranquille et sans tache qui fait les jeunes mariées. Elle s'approche de la vitrine et me contemple un instant de ses grands yeux clairs et généreux. Ils sourient, comme elle, devant cette vie pleine de promesses qui s'annonce. La personnalité des mariés laisse présager une vie confortable : elle est la fille d'un médecin d'origine noble, reconnu. C'est une véritable pointure dans le domaine où il exerce, un éminent spécialiste des maladies nerveuses et mentales, marié à la fille d'un aristocrate de la région.
Le marié, lui, est le fils d'un grand industriel qui a fait fortune et s'est lancé en politique, soutenu par son épouse, fille d'un général de la Seconde Guerre Mondiale. C'était un héros, qui a donné à ses enfants un fort sentiment patriotique. Ils habitent un château à une dizaine de minutes en voiture du bourg.
La jeune mariée a le regard étincelant, elle est rayonnante de bonheur et son mariage se présente sous les meilleures auspices. Elle fait quelques pas de danse face à moi, virevolte sous les yeux amusés et attendris du cuisinier qui l'observe depuis quelques instants, puis elle va rejoindre ses invités qui l'attendent dans la salle où on servira le repas dès qu'elle aura rejoint son jeune époux.

Les serveuses ont enfin entamé leur ballet. Elles vont de l'office à la salle en passant devant moi, les bras porteurs de plateaux chargés de mets raffinés et de corbeilles débordant de petits pains variés. Le sommelier est également arrivé dans la salle avec une bouteille de vin, et il n'arrêtera plus de la soirée, allant sans doute d'une table à l'autre en remplissant sans cesse les verres des convives.
Deux jeunes filles en tenue de service viennent s'asseoir près de ma vitrine, sur les chaises occupées auparavant par deux vieilles dames très chics qui ont depuis rejoint la salle avec les autres invités. Elles semblent attendre que les convives aient vidé leurs assiettes et profitent de ce petit moment pour papoter.
"Ouf, on est tranquilles pendant... allez... dix minutes ? Dit l'une en souriant.
- Ouais, ben moi, je ne suis pas à l'aise, si tu veux tout savoir !
- Chut ! Tu sais bien qu'on n'a rien à dire ! On fait notre boulot, c'est tout !
- Mais quand même ! Tu sais comme moi comment ça fonctionne et ce qui va se passer pour elle !
- Oui, mais je t'en prie, tais-toi ! Si la "vieille" nous surprend, on se fait virer illico toutes les deux !
- Rhâââ !! Ca me met en rage ! Quand j'pense à cette pauv'fille ! Tu sais, je l'ai connue au collège, elle était si gentille... j'ai vraiment peur de ce qu'elle...
- Chut ! Voilà le marié ! Lève-toi !"

Et voilà. Elles sont reparties au turbin, et je n'y comprends plus rien. C'est un mariage, non ? On dirait un enterrement...
Et c'est lui, le marié ?
Enfin, je le vois ! Il est grand, il porte un riche et magnifique costume en lin clair, il a de la classe, de la prestance, comme la jeune femme qu'il a épousée. Immédiatement, il en impose. Si j'étais une femme, je serais sans doute ravie du regard qu'il pose sur moi ! C'est un bel homme, très jeune, me semble-t-il. Il doit avoir environ vingt-cinq ans, guère plus. Il a un visage doux, lumineux, épanoui. Il a l'air heureux, et c'est bien le moins, le jour où l'on se marie ! C'est d'ailleurs étrange maintenant que j'y pense. Ce contraste avec les deux jeunes femmes de tout à l'heure... Comme si elles savaient quelque chose qu'il ignore. Et c'est son mariage !
Une femme d'un certain âge vient de sortir de la salle de réception. Elle s'approche du marié, elle est radieuse, visiblement très heureuse. Elle rajuste le noeud papillon du jeune homme, remet en place sa veste et l'époussette. Elle ressemble à n'importe quelle mère qui marie son fils. Son deuxième fils. Parce que j'ai déjà rencontré l'aîné, il me semble. Oui, c'est sans erreur possible l'homme qui faisait si peur à la soeur aînée de la mariée tout à l'heure. Il ne ressemble pas au marié, dont le visage est bien plus doux, mais à sa mère. Cette femme, malgré les efforts qu'elle fait, ressemble à un dragon. Son visage est dur, cruel. Elle va phagocyter sa deuxième belle-fille comme elle a éteint la vie de la première, c'est évident.
Ses yeux disent la convoitise et la joie malsaine face à ce fils qu'elle marie. Une nouvelle belle-fille, bientôt des petits-enfants, et une esclave de plus au château familial. Parce qu'il va de soi que, comme son aînée, la mariée n'aura pas d'autre choix que de se soumettre à la volonté de sa belle-mère.
Jusqu'à ce que la mort les sépare.

Amélie Platz, 20 février 2011

dimanche 13 février 2011

A quoi pense-t-elle ?

Nouvel atelier chez Gwen ce dimanche. La liberté est totale, à partir du tableau qu'elle propose. On y voit une jeune femme assise devant un café. A quoi pense-t-elle ?


Il faisait frais en ce matin du 22 mai 1934. On avait beau être en Louisiane, le temps n'était pas encore à l'été.
Elle était attablée dans un café, où elle attendait patiemment son amant. Il lui avait promis de venir, mais il lui fallait être prudent. Son frère avait été tué pour moins que ça, sur le trajet d'une balle perdue... Elle savait bien qu'il se devait de prendre quelques précautions. Ce serait dommage qu'ils le retrouvent aujourd'hui, et de cette manière.
Elle se prit à rêver. C'était une journée calme qui s'annonçait. Tout était prêt pour la mission du lendemain, ils n'avaient plus qu'à attendre. Et cela leur laissait de nombreuses heures à passer ensemble. Elle attendait cela depuis plusieurs semaines : une journée entière sans rien d'autre à faire que d'être auprès de lui. Elle avait un certain nombre de choses à lui dire, de nombreuses questions à lui poser, mais elle savait que ce n'était pas le moment et avait décidé, malgré le poids qui pesait sur ses épaules, de ne pas le déconcentrer avant ce travail qu'ils devaient mener à bien ensemble. Cela risquait de compromettre sa réussite. Elle n'avait pas l'habitude de ne rien faire, et cette heure qu'elle venait de passer au café lui semblait être venue d'une sorte d'entre-deux, comme si le temps avait fait un pause dans sa course effrénée. Elle en avait été la première surprise, mais avait trouvé cela très agréable en définitive. Demain, après la conclusion de cette affaire, peut-être qu'ils pourraient enfin prendre un peu de temps pour eux. La mort de son beau-frère l'avait fait réfléchir. Sa belle-sœur avait été anéantie, et elle ne voulait pas subir le même sort. S'il mourait, elle ne lui survivrait pas. Elle l'aimait tellement ! Pour lui, elle était capable d'aller au bout du monde. Et elle était si jeune ! A 24 ans, on a encore toute la vie devant soi.

Le trajet vers Arcadia ne serait pas très long. Une heure ou deux, tout au plus : leur voiture était rapide et puissante. Si seulement son homme acceptait de s'arrêter là ! Mais il en voulait toujours plus. Cette vie qu'il lui proposait et à laquelle il l'avait habituée depuis ces deux dernières années était exactement ce dont elle avait toujours rêvé : excitante, exaltante, amusante aussi. Ils changeaient souvent de maison, c'est vrai, mais, surtout, il ne la traitait pas comme les hommes traitent d'habitude leurs femmes. Il ne la cantonnait pas au rôle d'épouse parfaite, qui doit tenir proprement la maison et préparer le dîner en attendant sagement son retour du bureau. Non, elle était son égale, son âme sœur, son associée, et ils prenaient ensemble toutes les décisions qui concernaient leur couple et leur vie. Elle avait beau tenter de se projeter dans l'avenir, elle ne parvenait pas à envisager de changement radical dans leur vie mouvementée. Des enfants ? Oui, bien sûr, elle y avait pensé ! Elle lui en avait même parlé. Mais il n'était pas prêt à abandonner sa vie aventureuse pour se poser bien sagement dans une petite maison proprette... Elle se demandait même si ce serait un jour possible. En réalité, si elle essayait d'être honnête avec elle-même, elle ne savait même pas si elle en avait réellement envie. Il lui faudrait abandonner cette vie ; les autres ne le leur permettraient sans doute pas. Et puis, que savait-elle réellement de lui, en dehors de la vie exaltante qu'ils menaient ? Comment était-il au quotidien ? Supporterait-il un travail routinier, répétitif, avec des horaires fixes et réguliers, et le tout pour un salaire de misère ? C'était si éloigné de leur vie actuelle... Il leur faudrait changer radicalement de mode de vie. Non, ça, ce n'était pas possible. Il aimait trop le luxe, les belles voitures, les costumes coupés sur mesure, pour s'en priver un jour. Et puis, elle aussi avait pris goût à cette vie, à ces facilités qu'elle lui donnait et ne tenait pas spécialement à s'en passer.
Et pourtant... Elle se disait qu'ils devraient arrêter un jour prochain. Elle se rendait bien compte que ça ne pouvait pas continuer de cette manière. Si seulement elle trouvait le courage de lui dire ce qu'il y avait au fond de son cœur, si elle arrivait à lui parler, tout pourrait peut-être encore s'arranger. Après tout, Clyde avait 25 ans. Il était jeune, il avait la vie devant lui. Sa Bonnie pourrait peut-être le faire changer d'avis ?
Demain...

Amélie Platz, 13 février 2011


Bonnie Parker et Clyde Barrow avaient programmé l'attaque d'une banque d'Arcadia pour le 23 mai. La police avait eu vent de ce projet et organisé une embuscade non loin de leur planque. Ils sont restés en alerte de 2 heures à 9 heures du matin, heure à laquelle la voiture des deux amoureux est arrivée à vive allure. Ils ont alors ouvert le feu, criblant la voiture de multiples balles et tuant Bonnie et Clyde au passage...

dimanche 30 janvier 2011

L'Arbre et le coeur

Un nouvel atelier d'écriture chez Gwen, ce matin. La consigne est simple : 

Une phrase de début : L’arbre est devant la maison, un géant dans la lumière d’automne.
Une phrase de fin : J’espère que mon cœur tiendra, sans craquelures.
Il ne tient plus qu’à vous d’écrire le texte entre ce début et cette fin… en respectant une contrainte de temps : trente minutes!

Et voilà. Que faire avec ces phrases ? 31 minutes plus tard : 


L'arbre est devant la maison, un géant dans la lumière d'automne. Je me sens fatiguée, comme le jour qui décline rapidement en cette saison. Je n'ai qu'une envie : m'endormir, me laisser aller au sommeil réparateur, qui me permettra d'anesthésier ce mal-être qui me ronge à l'intérieur. Un dernier regard par la fenêtre m'attire vers cet arbre gigantesque, protecteur, millénaire. Il y a quelque chose de familier et en même temps d'étrange dans son aspect, dans la forme de son tronc, dans les nœuds de son écorce.
Je m'extirpe non sans mal de mon confortable fauteuil, attirée par ce quelque chose comme par un aimant. La porte s'ouvre, seule, comme mue par un courant d'air invisible, comme une invitation. Je sors dans le jardin, la lumière du jour décline tout doucement et les couleurs flamboyantes des feuilles des arbres environnants réchauffent mon coeur pendant que je m'approche de l'arbre. Je suis si fatiguée... quelques pas seulement me séparent de la maison, mais j'ai le sentiment d'avoir parcouru des centaines de mètres en quelques secondes. Je dois prendre appui, je dois me reposer un instant, et cet arbre chaud, protecteur, me donnera le soutien nécessaire avant de poursuivre. En m'appuyant contre le tronc de l'arbre, je sens sous mes doigts sa rugosité, sa vitalité. Mes doigts effleurent la surface de cette écorce rassurante et brusquement, je vois s'ouvrir ce tronc. Mes mains ont dû déclencher un mécanisme et la porte dérobée s'est ouverte sur un escalier qui descend dans les profondeurs de la terre. Je me sais, je me sens invitée à descendre dans ce monde souterrain, comme si j'avais enfin trouvé un endroit où je pourrais me sentir bien, au chaud. Je dois y aller, c'est chez moi !
J'avance dans le dédale des boyaux creusés entre les racines de l'arbre et de ses congénères de la forêt toute proche. Elles forment une véritable cathédrale souterraine, rassurante, protectrice, et je m'y sens si bien...
Au détour d'une des galeries, j'entends des bruits de pas, des voix, des chants. Des hommes en robe de bure sont là, assis sur de petits bancs et chantent. Ils psalmodient d'étranges mélopées dont je ne comprends pas les paroles. Instinctivement, je sens qu'ils ne sont pas à leur place. Je viens de découvrir cet endroit, mais je suis chez moi. Ils me l'ont pris, et vont m'en chasser. Leurs visages aux yeux fixes, étranges, se tournent vers moi. Ils m'ont vue, ils sont nombreux, au moins une centaine, et se lèvent tous ensemble, se dirigent vers moi. Je suis à l'entrée de cette salle immense, et je sais qu'il n'y a pas d'issue. Je dois partir, sans quoi ils me tueront.
Je cours au hasard dans les galeries formées par les racines, ne sachant plus par où je suis venue. Comment sortir ? Comment retrouver les marches menant à l'extérieur alors que tous ces hommes sont sur mes talons ? Ils sont derrière moi. Je cours, ils marchent, mais je les sais tout proches, je n'ai aucune chance. Je suis fatiguée, je vais m'effondrer dans quelques minutes, je n'ai plus de forces, ils vont me rattraper.

Respire.
Concentre-toi.
Je me retourne. Les hommes sont là, face à moi. Ils sont nombreux, ils sont calmes, déterminés, implacables. Je n'ai aucune chance. Prise de vertige, je pose mes mains sur les parois de la galerie, sur les racines bienveillantes des arbres.
Je les sens, elles sont vivantes. Cette force vitale de la nature semble m'envahir, telle un torrent d'énergie puissante, indomptable. Elle est vivante, vibrante. Je suis vivante.
Mes yeux se ferment, cette énergie se concentre en moi, je la sens monter. Bientôt, elle va sortir, exploser, me dépasser. Je dois la canaliser sans quoi elle va m'anéantir bien avant que les hommes en robe de bure ne le fassent.
Je la sens, cette énergie : mes mains tremblent, ma respiration s'accélère, mon rythme cardiaque augmente.
J'ouvre les yeux, tend les mains. Le souffle d'énergie est puissant, dévastateur. Les hommes en robe de bure le reçoivent en pleine face.
J'espère que mon cœur tiendra, sans craquelures.

Amélie Platz, 30 janvier 2011

dimanche 9 janvier 2011

Le pain au chocolat du supermarché

Gwen nous fait cette semaine un joli atelier avec un exercice un peu difficile pour moi : le pastiche. Difficile, voire impossible, car je n'ai pas lu Philippe Delerm, je ne peux donc pas écrire "à sa manière"... J'ai donc écrit un texte en essayant de jouer le jeu, en me laissant guider par l'inspiration. Je ne sais pas du tout si ça répond à la consigne donnée, mais l'essentiel étant de participer, on verra bien !

Bonne lecture ! Le texte est bien plus court que la semaine dernière, vous verrez !


Le pain au chocolat du supermarché

On n'avait pas beaucoup d'argent. Les courses en centre-ville, dans les petits commerces, on ne connaissait pas. Il n'y avait qu'un seul plaisir : le pain au chocolat du vendredi. On attendait le retour de maman avec les courses ; après l'école, on savait qu'on aurait un bon goûter. Avec mes frères et sœurs, c'était à qui arriverait le premier pour déballer les courses et trouver la boîte en plastique renfermant les précieuses viennoiseries. Qu'est-ce qu'on les aimait, celles-là ! Deux barres de chocolat à l'intérieur, c'était tellement meilleur ! Et quand on arrivait à attendre, on les réchauffait quelques minutes au grille-pain... le chocolat fondait, et nos doigts graisseux s'amusaient à dépiauter la pâte feuilletée jusqu'au cœur fondant, pour faire durer le plaisir. Les miettes tombées sur la table faisaient l'objet d'âpres combats, et on terminait en se léchant avidement les doigts. Tout le week-end et la semaine suivante avaient ainsi le goût du souvenir de ce pain au chocolat tant attendu, tant espéré. Certaines semaines, notamment à la fin du mois, le porte-monnaie vide de maman nous faisait craindre qu'il faudrait patienter un peu plus longtemps que d'habitude. Et quand le vendredi revenait, on attendait l'heure du goûter en espérant que maman n'aurait pas oublié notre petit plaisir hebdomadaire.
Devenus adultes, le pain au chocolat du vendredi a disparu. Trop puéril. Trop prévisible. Supplanté par les gâteaux faits maison et les brioches de la machine à pain. La vie d'adulte, un bon travail, un salaire plus que décent, le rythme effréné du quotidien, la maison au centre-ville, la mode du bio et du manger sain ont eu raison de cet innocent plaisir. Je profite de la boulangerie au coin de la rue pour acheter des viennoiseries au bon beurre en lieu et place de l'huile, moins chère, utilisée autrefois pour confectionner les pains au chocolat du supermarché ; des viennoiseries plus « saines », plus nourrissantes, moins grasses, plus aérées, plus feuilletées...
On sait qu'elles sont meilleures. J'ai simplement du mal à y retrouver le goût de mon enfance.

Amélie Platz, 9 janvier 2011.

vendredi 7 janvier 2011

Encore un pas, deuxième version

Le premier texte ne me plaisait pas sur la forme. Le voici corrigé, imparfait mais ressemblant plus à ce que je voulais qu'il soit.
Encore un pas

Fabienne se tenait devant la porte. Elle savait que son avenir se jouait juste de l'autre côté. C’était une belle porte en bois, ancienne, qui ouvrait une brèche dans un mur en pierre vieux de plusieurs siècles. Fabienne savait ce qu’il y avait derrière, sans l’avoir jamais franchie. Elle connaissait l’histoire de ce bâtiment et savait ce qui l’attendait une fois qu’elle en aurait franchi le seuil.

Fabienne avait un peu moins de quarante ans. C’était une femme brune, qui aurait été grande si les soucis qui lui pesaient tant ne lui donnaient un air tassé. Elle paraissait avoir bien plus que son âge ; à dire vrai, elle avait l’air d’une vieille femme épuisée, au bout du rouleau. Derrière cette porte, il y avait à la fois son salut et sa fin ; elle pouvait être sauvée, mais en même temps, elle se savait perdue si elle entrait dans ce domaine.
Elle revivait sans cesse la scène du matin qui l’avait amenée à cet endroit. Elle l’avait maintes fois vue se dérouler dans ses pires cauchemars ; maintes fois aussi, elle l’avait espérée. Il lui était difficile de ne pas être rassurée en sachant que le moment tant redouté était enfin arrivé. Mais le renoncement est toujours compliqué. Franchir cette porte, c’était oublier sa vie d’avant, accepter d’être une autre. Il lui faudrait oublier qui elle était, oublier son confort, sa maison, son quotidien ; certes, elle allait oublier ses angoisses, mais aussi ses joies matinales quand elle se réveillait pleine d’entrain, confondant le rêve et la réalité, au seuil de la vie réelle.

Ce matin-là, elle avait reçu un coup de téléphone de son médecin. Celui-ci lui avait demandé s’il pouvait passer la voir ; il avait insisté en lui disant combien sa visite était importante et qu’il prendrait le temps de tout lui expliquer. Fabienne savait pertinemment pour quelle raison son médecin l’avait appelé. Elle savait le moment enfin venu, inéluctable : cette fois-ci, elle ne pourrait pas se défausser. Il arrive un moment où le point de non-retour est atteint. Pour elle, c’était ce matin-là. Le médecin a sonné à sa porte moins d’une demi-heure plus tard. Elle avait eu le temps de s’habiller et de préparer quelques affaires qu’elle avait rassemblées dans une petite valise. Et elle avait sourit. Il lui suffirait de s’imaginer être dans sa maison, et alors elle pourrait y revenir, par la magie de la pensée. Oui, c'était ce qu'elle ferait : imaginer qu’elle était chez elle.
Le docteur la félicita pour son état d’esprit coopératif. Il lui expliqua le déroulement des opérations. Il lui suffisait de se présenter à l’entrée, le personnel était prévenu, une chambre était prête pour elle, elle n’avait plus qu’à sonner et on l’accueillerait. Elle devait se présenter avant 17 heures, c’était tout ce qui importait. Fabienne se souvint avoir eu un drôle de sentiment au moment où le médecin avait franchi la porte de sa petite maison. Elle avait eu l’impression que les portes de sa vie s’étaient refermées devant elle et qu’elle était entrée en prison. A midi, elle avait pris son dernier déjeuner de condamnée, avant d’intégrer sa cellule qui serait son univers jusqu’à sa mort.
Elle savait intimement que le médecin avait raison. L’internement était la seule alternative. La vie seule devenait trop dangereuse, trop compliquée. Pourtant, au début, c’était plutôt drôle. Ses hallucinations la faisaient rire rétrospectivement, au point que dans les premiers temps, elle avait accepté ces personnages imaginaires comme des compagnons dans sa vie solitaire. Mais ceux-ci s’étaient faits de plus en plus présents et étaient devenus encombrants, voire dangereux. Ils pouvaient prendre n’importe quelle forme. Humaine, animale, ou autre chose. Son imagination à ce sujet n’avait aucune limite. La dernière fois, c’était une énorme araignée qu’elle avait poursuivie avec son rouleau à pâtisserie. Quand elle l’avait enfin rattrapée alors qu’elle était sur la table de la cuisine et qu’elle l’avait frappée par trois fois, elle était retournée brutalement à la réalité. La douleur l’avait rappelée à l’ordre et elle avait dû joindre son médecin en urgence. Il l’avait envoyée faire des radios à l’hôpital et elle s’était retrouvée avec la main gauche dans le plâtre pendant 6 semaines. Elle avait eu honte. A l’hôpital, les infirmiers qui l’avaient accueillie lui avaient demandé comment elle avait eu la main écrasée. Elle n’avait su que dire, et l’infirmière avait suspecté un mauvais traitement. Elle lui avait demandé si elle était mariée, si elle était seule au moment de l’accident… les réponses confuses et gênées de Fabienne lui avaient paru étranges, au point qu’elle avait demandé le nom de son médecin traitant et un bilan psychologique.

Elle était là, maintenant, devant cette porte en bois. Derrière, elle le savait, se trouvait un environnement enchanteur, préservé. La végétation y était luxuriante, le micro climat qui régnait sur la petite ville finistérienne permettant l’acclimatation et la croissance des palmiers. L'endroit était réputé pour être magnifique, préservé, très bien restauré. Les jardins de la première enceinte se visitaient et attiraient de nombreuses personnes à la recherche de calme et de tranquillité. Le couvent austère avait fait place à un bâtiment moderne pourvu de tout le confort indispensable à sa nouvelle destination, sans pour autant que le site premier ne soit dénaturé. Le bâtiment de pierre avait, de ce fait, conservé son cachet et sa beauté primitive. L'ancienne hôtellerie, proche de l'entrée principale, servait autrefois de logement aux croyants de passage dans la communauté religieuse et abritait aujourd'hui une maison de retraite que le cadre rendait particulièrement paisible. Dans la partie privée de l'ancien couvent, derrière les murs du cloître, se trouvait désormais l’hôpital psychiatrique. Fabienne savait que ses illusions d'aujourd'hui disparaîtraient bien vite. Les médicaments allaient l’abrutir, faire disparaître les hallucinations, mais aussi ce regard tendre et décalé qu’elle portait sur le monde qui l’entourait. Elle allait s’enfermer dans sa folie, aidée en cela par les pilules qui lui seraient données chaque soir. Et pourtant, elle avait envie d’entrer. Elle savait qu’elle serait en sécurité. Plus jamais elle ne courrait derrière sa main en étant persuadée qu’elle devait l’assommer ; plus jamais elle ne mettrait le feu à ses rideaux en croyant qu’elle avait fait installer à cet endroit une belle cheminée.
Elle attrapa le heurtoir, décidée à frapper à la porte. Il était 15 heures, elle était dans les temps. Il valait mieux pour elle y aller le plus tôt possible. Si elle ne le faisait pas maintenant, elle risquait de changer d’avis, et elle ne le voulait à aucun prix. Sa vie devenait dangereuse, tellement dangereuse ! Oui, elle devait y aller.

Fabienne lâcha le heurtoir. Renoncer à sa liberté, à son imaginaire, à ses rêves, même dangereux, lui sembla tout à coup impensable.
Elle était dangereuse. Surtout pour elle-même. Bientôt, elle aurait peut-être perdu le contact avec la réalité. Mais en attendant, elle ne voulait pas qu’on lui vole ses rêves. Elle ne voulait pas des pilules qu’on lui ferait avaler.
Elle tourna les talons. Elle avait sa petite valise à la main, elle décida sur un coup de tête de ne pas entrer et de refaire sa vie. Ailleurs. Dans la rue s’il le fallait.
Elle allait disparaître.
Maintenant.

Amélie Platz, 7 janvier 2011