dimanche 27 mars 2011

Frissons nocturnes

Aujourd'hui dimanche, jour d'élections dans notre canton, mais aussi de l'atelier d'écriture chez Gwen. Et aujourd'hui, les consignes étaient assez précises :
- La nuit
- Une rue sombre
- Des talons hauts
- Une silhouette furtive
- Et la désagréable sensation de ne pas être seul(e).
A nous, à partir de ces contraintes, de faire sentir la mécanique implacable du frisson.

Voilà mon texte :


La lumière blafarde des réverbères éclairait la rue par endroits. Mais à plus de vingt-trois heures, malgré l'éclairage public, les zones d'ombre restaient nombreuses. L'homme marchait sur le trottoir longeant le pont. Au-dessous de lui, la rivière s'écoulait ; les flots avaient grossi depuis les dernières pluies et il se fit la réflexion que le courant devait être particulièrement fort à cet endroit.
Il s'arrêta et s'approcha du parapet pour observer un moment la nuit. Il aimait cette atmosphère calme et silencieuse à cette heure. Dans la petite ville qu'il habitait, rares étaient les personnes qui s'aventuraient dehors au-delà de 21 heures. De toute façon, il n'y avait pas grand-chose à faire : les bars fermaient tôt, et le cinéma le plus proche se trouvait à V***, à 10 kilomètres de là.
Il se concentra sur le cours d'eau et ses flots tumultueux. Ses yeux s'acclimataient à la pénombre et il commençait à mieux distinguer les abords du pont. A cet endroit-là, l'éclairage était totalement absent, lui permettant de ne pas être ébloui comme c'était le cas dans la rue qu'il venait de quitter. Il était bien. La pluie avait cessé et la température redevenait normale après l'après-midi caniculaire qui venait de s'écouler. D'ailleurs, il s'était attendu à croiser davantage de promeneurs. Peut-être l'heure tardive les avait-elle dissuadés de sortir de chez eux ?
Il en était là de ses réflexions quand il entendit un bruit léger, à peine un souffle, qui semblait venir de sa gauche. Il se tourna lentement, pour ne pas être aveuglé par le réverbère qui se trouvait un peu plus loin et laisser sa vision s'accommoder à l'afflux de lumière. Mais il ne vit rien. Sans doute que ce bruit était dû à la présence d'oiseaux de nuit ? Il les savait nombreux dans la région : chouettes, hiboux... ainsi que les chauves-souris et les rongeurs.
Le bruit recommença, plus fort, plus proche. Mais cette fois-ci, il venait de derrière lui. C'était maintenant certain : « cela » se rapprochait et tournait autour de lui. Contrairement à ce qu'il pensait, il n'était pas seul. Il allait se retourner pour voir ce qui se passait quand il entendit des bruits de pas. Il pensa d'abord à un promeneur comme lui, mais le son était étrange, syncopé. Quelqu'un semblait boiter. Un bruit de talons. Serait-ce une femme ? Il se retourna pour voir si elle arrivait derrière lui, mais la rue était déserte, ainsi que le pont sur lequel il se trouvait. Un léger frisson lui parcourut l'échine quand il se rendit compte qu'il y avait deux séries de bruits. Il les identifia très vite : il s'agissait d'une part d'une femme avec des chaussures à talons qui courait. Elle boitait, puisque le bruit d'un pas sur deux était comme en sourdine. Elle semblait être suivie par une autre personne, peut-être un homme. En tout cas, ses chaussures étaient moins bruyantes. Le frisson qu'il avait ressenti quelques instants plus tôt se reproduisit en s'intensifiant. D'où venaient les pas ? Il n'y avait personne, et pourtant, il n'était pas seul.
Il s'approcha de nouveau du parapet. Il venait de se souvenir que les bruits se propagent différemment sur l'eau, par rapport à la façon qu'ils ont de se propager sur la terre ferme. Selon les vents et l'endroit où l'on se trouve, un bruit dont l'origine se trouve derrière soi peut sembler venir de la gauche ou de la droite. Et si... ?
Il reprit son poste d'observation. Le long frisson était revenu, et il s'accompagnait maintenant d'un désir d'en savoir plus, de savoir et de voir. Quelque chose d'imminent allait se passer. Il sourit dans la nuit : il jouissait. La femme apparut sur la voie sur berge qui passait sous le pont. Elle avait visiblement perdu une de ses chaussures dans sa course, car il la vit s'arrêter, retirer la seconde et se remettre à courir. Mais il savait que c'était trop tard. L'homme qui la poursuivait allait sûrement plus vite qu'elle. Il était statistiquement plus grand, plus puissant et aussi plus rapide. Il allait la rattraper. Quelques secondes après, l'homme déboucha lui aussi de sous le pont.
Il savait que la chasse était finie. Une véritable décharge d'adrénaline parcourut tout son corps et un intense sentiment de plaisir l'envahit quand il le vit rattraper la femme.

Amélie Platz, 27 mars 2011

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