dimanche 2 janvier 2011

Encore un pas.

Une fois n'est pas coutume, j'ai participé aujourd'hui à l'atelier d'écriture de Gwenaëlle, qu'elle met en ligne apparemment tous les dimanches.
Voici le principe : Gwen propose un sujet, aujourd'hui une photographie (une porte en bois), avec la consigne suivante :
"Regardez-la bien cette porte… Qu’est-ce qu’elle vous inspire? Quelles sont les premières idées qui vous viennent à l’esprit? Les qualificatifs, les images? Notez-les.
A partir de vos notes prises sur le vif, je vous propose d’écrire une histoire dont cette porte sera l’élément central. Votre personnage se trouve devant quand l’histoire commence. Que fait-il là? Qu’y a-t-il derrière cette porte? Va-t-elle s’ouvrir devant lui? Mais peut-être redoute-t-il justement qu’elle ne s’ouvre…
Voilà, à vous de jouer maintenant."

Voici le texte qui en a découlé :


Encore un pas.

Fabienne se tenait devant la porte. Elle savait que son avenir se jouait devant elle, derrière cette porte. C’était une belle porte en bois, ancienne, qui ouvrait une brèche dans un mur en pierre vieux de plusieurs siècles. Fabienne savait ce qu’il y avait derrière cette porte, sans l’avoir jamais franchie. Elle connaissait l’histoire de ce bâtiment. Elle savait ce qui l’attendait une fois qu’elle en aurait franchi le seuil.

Fabienne avait un peu moins de quarante ans. C’était une femme brune, qui aurait été grande si les soucis qui lui pesaient tant ne lui donnaient un air tassé. Elle paraissait avoir bien plus que son âge ; à dire vrai, elle avait l’air d’une vieille femme épuisée, au bout du rouleau. Derrière cette porte, il y avait à la fois son salut et sa fin, elle pouvait être sauvée, mais en même temps, elle se savait perdue si elle entrait dans ce domaine.
Elle revivait sans cesse la scène du matin qui l’avait amenée devant cette porte. Elle l’avait maintes fois vue se dérouler dans ses pires cauchemars, maintes fois aussi, elle l’avait espérée. Il lui était difficile de ne pas être rassurée en sachant que le moment tant redouté était enfin arrivé. Mais le renoncement est toujours compliqué. Franchir cette porte, c’était oublier sa vie d’avant, accepter d’être une autre. Il lui faudrait oublier qui elle était, oublier son confort, sa maison, son quotidien, oublier ses angoisses, mais aussi ses joies matinales quand elle se réveillait pleine d’entrain, confondant le rêve et la réalité, au seuil de la vie réelle.

Ce matin-là, elle avait reçu un coup de téléphone de son médecin. Celui-ci lui avait demandé s’il pouvait passer la voir ; il avait insisté en lui disant combien sa visite était importante et qu’il prendrait le temps de tout lui expliquer. Fabienne savait pertinemment pour quelle raison son médecin l’avait appelé. Elle savait que le moment était venu, et que cette fois-ci, elle ne pourrait pas se défausser. Il arrive un moment où le point de non-retour est atteint. Pour elle, c’était ce matin-là. Le médecin a sonné à sa porte moins d’une demi-heure plus tard. Elle avait eu le temps de s’habiller et de préparer quelques affaires qu’elle avait rassemblées dans une petite valise. Et elle avait sourit. Il lui suffirait de s’imaginer être dans sa maison, et alors elle pourrait y revenir, par la magie de la pensée. Oui, elle allait faire ça. Imaginer qu’elle était chez elle.
Le docteur la félicita pour son état d’esprit coopératif. Il lui expliqua le déroulement des opérations. Il lui suffisait de se présenter à l’entrée, le personnel était prévenu, une chambre était prête pour elle, elle n’avait plus qu’à sonner à l’entrée, et on l’accueillerait. Elle devait se présenter avant 17 heures, c’était tout ce qui importait. Fabienne se souvint avoir eu un drôle de sentiment au moment où le médecin avait franchi la porte de sa petite maison. Elle avait eu l’impression que les portes de sa vie s’étaient refermées devant elle et qu’elle était entrée en prison. Elle prenait maintenant son dernier déjeuner de condamnée, avant d’intégrer sa cellule qui serait son univers jusqu’à sa mort.
Elle savait intimement que le médecin avait raison. L’internement était la seule alternative. La vie seule devenait trop dangereuse, trop compliquée. Pourtant, au début, c’était plutôt drôle. Ses hallucinations la faisaient rire rétrospectivement, au point que dans les premiers temps, elle avait accepté ces personnages imaginaires comme des compagnons dans sa vie solitaire. Mais les compagnons s’étaient faits de plus en plus présents et étaient devenus encombrants, voire dangereux. Ils pouvaient prendre n’importe quelle forme. Humaine, animale, ou autre chose. Son imagination à ce sujet n’avait aucune limite. La dernière fois, c’était une énorme araignée qu’elle avait poursuivie avec son rouleau à pâtisserie. Quand elle l’avait enfin rattrapée alors qu’elle était sur la table de la cuisine et qu’elle l’avait frappée par trois fois avec son rouleau à pâtisserie en bois, elle était retournée brutalement à la réalité. La douleur l’avait rappelée à l’ordre, et elle avait dû appeler son médecin en urgence. Il l’avait envoyée faire des radios à l’hôpital et elle s’était retrouvée avec la main gauche dans le plâtre pendant 6 semaines. Elle avait eu honte. A l’hôpital, les infirmiers qui l’avaient accueillie lui avaient demandé comment elle avait eu la main écrasée. Elle n’avait su que dire, et l’infirmière avait suspecté un mauvais traitement. Elle lui avait demandé si elle était mariée, si elle était seule au moment de l’accident… les réponses confuses et gênées de Fabienne lui avaient paru étranges, au point qu’elle avait demandé le nom de son médecin traitant et un bilan psychologique.

Elle était là, maintenant, devant cette porte en bois. Derrière, elle le savait, se trouvait un environnement enchanteur, préservé. La végétation y était luxuriante, le micro climat qui régnait sur la petite ville finistérienne permettant l’acclimatation et la croissance des palmiers. Derrière les murs de l’ancien cloître se trouvait l’hôpital psychiatrique. Fabienne savait que ses illusions disparaîtraient bien vite. Les médicaments allaient l’abrutir, faire disparaître les hallucinations, mais aussi ce regard tendre et décalé qu’elle portait sur le monde qui l’entourait. Elle allait s’enfermer dans sa folie, aidée en cela par les pilules qui lui seraient données chaque soir. Et pourtant, elle avait envie d’entrer. Elle savait qu’elle serait en sécurité. Plus jamais elle ne courrait derrière sa main en étant persuadée qu’elle devait l’assommer, plus jamais elle ne mettrait le feu à ses rideaux en pensant qu’elle avait fait installer une belle cheminée.
Face à la porte, elle attrapa le heurtoir, décidée à frapper à la porte. Il était 15 heures, elle était dans les temps. Il valait mieux pour elle y aller le plus tôt possible. Sinon, elle risquerait de changer d’avis, et elle ne le voulait à aucun prix. Sa vie devenait dangereuse, tellement dangereuse ! Oui, elle devait y aller.

Fabienne lâcha le heurtoir. Renoncer à sa liberté, à son imaginaire, à ses rêves, même dangereux, lui sembla tout à coup impensable.
Elle était dangereuse. Oui, pour elle-même surtout. Bientôt, elle aurait peut-être perdu le contact avec la réalité. Mais en attendant, elle ne voulait pas qu’on lui vole ses rêves. Elle ne voulait pas des pilules qu’on lui ferait avaler.
Elle tourna les talons. Elle avait sa petite valise à la main, elle décida sur un coup de tête de ne pas entrer, et de refaire sa vie. Ailleurs. Dans la rue s’il le fallait.
Elle allait disparaître.
Maintenant.

Amélie Platz, 2 janvier 2011

Merci Gwen pour ce bel atelier !

4 commentaires:

  1. Chouette idée, ça!! Bonne stimulation même et bon exercice pour s'entrainer.
    Très beau texte en tout cas.

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  2. Merci Mili, pour ton appréciation ! Je viens de le relire, et il me paraît répétitif, tellement perfectible ! Je crois que dès que j'aurai le temps, je le corrigerai, je ne peux décemment pas le laisser tel quel... Sauf que je ne peux pas le faire maintenant... Zut !
    En tout cas, j'espère reparticiper à cet atelier d'écriture, qui a lieu deux fois par mois, le dimanche.

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  3. Ca pourrait être intéressant en effet que tu le retouches, tout en laissant ton "premier jet" visible, juste pour pouvoir voir l'évolution du texte.
    Avais-tu une contrainte de temps? (juste la journée du dimanche?)

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  4. Tout à fait ! L'atelier a lieu le dimanche, et je devais poster un texte dans la journée. Sauf que je ne l'ai vu qu'un peu avant 16h. J'ai donc écrit très vite, sans retouches autres que les corrections d'orthographe. Du coup, il ne me plaît pas tel quel, à cause de certains choix de mots, et beaucoup d'imprécisions dans ce que je voulais dire. Le texte est clair tel quel, mais mériterait un peu plus de travail. L'idée de laisser la première version ici est bonne, je crois que c'est ce que je vais faire. Sauf si la version "corrigée" est trop proche de la première, auquel cas ça n'aurait pas grand intérêt...

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