jeudi 28 juillet 2011

Règlement de comptes


Lundi dernier, pas moins de 15 mots commençant par la lettre « D » ont été proposé pour l'atelier « Les plumes de l'été » chez Asphodèle.
Voici la liste :
Divin – Dalle – Déclin – Diamant – Désir – Déliquescence – Danse – Démon – Désamour – Désespoir – Daube – Diplomatique – Dévorer – Druide – Diatribe.

Je voulais écrire la suite des aventures de Dimitri et Christine (voir ici), mais finalement, ça ne venait pas. Donc, j'ai écrit ceci :

Règlement de comptes

Darina, ma mère, était en train de préparer une daube dans l'appartement. C'était jour de fête : mon père rentrait de mission. C'était la première fois que nous allions le revoir depuis au moins six mois. D'habitude, je suis plus précise que ça. J'ai une excellente mémoire des dates. Mais ce matin, je n'ai plus envie. Plus aucun désir. Fini. Terminé. Tout ça, c'est que dalle. Du vent, c'est tout. D'ailleurs, je sais bien comment ça va se terminer. Colère, diatribe, je vois d'ici le tableau. Oh bien sûr, ce ne sera pas tout de suite. Très diplomatiquement, il va rentrer et faire comme s'il était un invité. Se faire tout petit, puis, progressivement, s'imposer, sans en avoir l'air. J'ai des images qui me hantent quand je pense à lui. Bien plus percutantes que tous ses beaux discours. Cet homme n'est ni plus ni moins qu'un démon déguisé en ange, même plus capable de camoufler son désamour pour nous. On dirait un dragon en passe de dévorer ceux qui sont autour de lui, en ayant auparavant bien pris soin de laisser le désespoir s'installer, histoire que nous pensions qu'il n'y a aucune issue. Je le déteste, tout simplement.
Seulement, je ne peux rien dire. C'est mon père, et ma mère le soutient toujours, quelles que soient les circonstances. Pour elle, il a quelque chose de divin, il est parfait, sans tâche, sans défaut, et en plus, il a raison. Toujours. C'en est même magique. Tel un druide, il a toujours une potion, une solution aux problèmes. Il pourrait presque s'appeler Superman, tiens ! Moi, tout ce que je vois, c'est son hypocrisie. Il est noir, même s'il a l'apparence d'un diamant brillant de mille feux.
Je ne peux rien dire. Ça ferait trop de mal à Darina. Et ce n'est pas à moi de lui montrer la vérité. Elle n'a qu'à ouvrir les yeux. Son couple est en déclin, c'est une évidence pour tous, sauf pour elle. Enfin quoi ? Elle a de la merde devant les yeux, ou quoi ? Elle ne s'interroge même plus sur les raisons de ses départs ! Ses missions... tu parles ! Des excuses pour s'éloigner d'elle, oui !
J'ai regardé dans le dictionnaire. Je pensais à « décrépitude » pour parler de leur vie de couple. Mais il y a un autre mot plus parlant, « déliquescence ». Dans « décrépitude », il y a la notion de vieillesse, d'effritement. Mais « déliquescence », c'est encore plus fort. Parce que là, il est question de dissolution, de destruction lente, mais massive. Toute cette histoire n'est qu'un mensonge. Toute sa vie n'est qu'un mensonge.

Je l'ai bien vu, la dernière fois. Il était sur la piste de danse du club où j'étais allée passer la soirée avec mes amis. Je n'ai appris que le lendemain à quoi j'avais affaire. Je suis tombée de haut, bien sûr, mais ensuite, passée la première surprise, le dégoût, tout est devenu clair. Je ne comprenais pas trop pourquoi il y avait si peu de couples. Qu'est-ce que je suis naïve ! Le lendemain, j'y suis retournée, seule. C'était fermé. Mais sur la porte, il y avait un petit panneau avec les horaires d'ouverture. Et c'était écrit aussi : « Bar gay ».

Amélie Platz, 28 juillet 2011

11 commentaires:

  1. Jolie la chute ! Je ne m'y attendais pas du tout ! Il est beau et...triste ton texte, bravo !! ;)

    RépondreSupprimer
  2. J'ai bcp aimé ton texte : pour moi il évoque la difficulté des enfants à comprendre leurs parents.

    RépondreSupprimer
  3. Ah oui, quelle chute ! On ne s'y attend pas !
    Et c'était astucieux de prendre le point de vue de l'enfant !

    RépondreSupprimer
  4. Texte juste et pas facile à la fin inhabituelle. Bravo !

    RépondreSupprimer
  5. Très beau texte, l'écriture change au fur et à mesure que l'enfant s'exaspère, se souvient, c'est génail, et bien sûr, superbe chute (impossible de la voir venir !)
    j'adore !

    RépondreSupprimer
  6. Whaa! Un texte très fort qui me parle beaucoup (le portrait du père ^^) La chute est surprenante et fort bien trouvée, bravo! quel plaisir le jeu d'Asphodèle! :)

    RépondreSupprimer
  7. Le personnage du père me fait penser à Franck dans Un jardin sur le ventre. Sauf la fin, bien entendu, qui est différente... et surprenante.

    RépondreSupprimer
  8. Il y a la chute en effet, totalement inattendue!
    Mais aussi ce portrait de père.Il m'a semblé que malgré ce que la narratrice prétend (elle le déteste!) il y a la nostalgie de l'amour perdu!
    En tout cas tu as traité le sujet de manière très originale
    J'ai bcp aimé!

    RépondreSupprimer
  9. Je ne m'attendais pas à ça ! Tu es douée, déjà la semaine dernière, j'avais été estomaquée. Super texte avec des mots forts.

    RépondreSupprimer
  10. Oui je suis d'accord: le jeu d'Asphodèle est un petit diamant! Il nous permet de rencontrer des gens qui écrivent divinement bien.
    Bravo Syl pour ta petite chronique mi-figue mi-amère.

    RépondreSupprimer