lundi 8 août 2011

Faux-semblants


L'atelier d'Asphodèle, c'est le vendredi. Mais vendredi prochain, je ne serai pas là, trajet de fin de vacances oblige. Donc j'ai pris un peu d'avance... (cliquez sur le lien pour le billet d'Asphodèle et tous les autres textes, et il y en a, cette semaine encore !)

La récolte d'aujourd'hui, ce sont les 16 mots que voici : Fantasque – Fariboles – Farandole – Feu – Fauve – Frimas – Fond – Folie – Firmament – Foule – Faon – Fascination – Fricandelle – Fièvre – Frénésie – Fakir.


Faux-semblants

Fiona était une jeune fille quelque peu fantasque. Elle étonnait régulièrement ses amis par ses fariboles et son côté déjanté. Elle était drôle, quelque peu décalée ; rousse, d'origine irlandaise, elle avait ce tempérament de feu qui caractérise les jeunes filles de sa famille depuis plusieurs générations, et n'hésitait jamais à foncer droit devant, y compris si, devant elle, se trouvaient les pires ennuis. Elle les traversait telle un fakir sa planche à clous, et se rendait compte de ce qu'elle avait fait après coup, une fois que la douleur ou les problèmes se rappelaient à son bon souvenir. Bref, c'était une jeune fille qui semblait bien dans sa peau, un peu feu follet, et surtout très vivante.

Elle exerçait une sorte de fascination sur Félix, son cousin, de quelques semaines son aîné. Il la trouvait drôle avec ses envies un peu loufoques : elle aimait partir avec lui, prendre le métro ou le tramway et faire des folies sur la grand-place. Il lui arrivait de se tordre de rire en voyant sa cousine esquisser des pas de danse sur un air d'accordéon, même en plein milieu de la foule. Elle ne savait pas danser, mais s'en fichait complètement. Avec elle, Félix passait des moments inoubliables. Elle était capable de s'arrêter en plein milieu d'un trottoir et de se mettre à chanter Quand la musique est bonne ou The Final Countdown sans aucune raison ni musique... Elle s'était un jour retrouvée sur une place, lors des premiers frimas, à organiser une farandole avec deux, trois personnes qui se trouvaient là après les avoir convaincues que ce serait le meilleur moyen de se réchauffer. L'une d'elles avait accepté, les autres avaient suivi... Il avait cru rêver en les voyant, persuadé que ce serait impossible à réaliser, et pourtant, elle l'avait fait... Il en avait été épaté, comme à chaque fois qu'elle faisait ce genre de folie.
Et pourtant...

Pourtant, Fiona avait peur. Elle se sentait tomber de plus en plus bas, elle avait l'impression de descendre encore, et encore, sans jamais toucher le fond. C'était qu'elle n'était sans doute pas encore allée assez loin... Elle regardait parfois le ciel, ses yeux se perdant dans le firmament étoilé, comme attendant que quelque chose se passe enfin dans sa vie si morne, si terne, si... fade... Elle se ressaisissait alors, s'agitait avec frénésie pour chasser ses idées noires... Elle sentait la fièvre créative la reprendre et oubliait pour un temps ses questions sans réponses et son mal-être. Il lui fallait donner le change, elle ne pouvait pas laisser les autres voir son désarroi. Tel un fauve, elle se battait pour protéger sa vie privée, ce qu'elle pensait être sa vie privée en tout cas. Et pourtant... elle se sentait davantage dans la peau du faon effrayé qui se terre de peur de se montrer au chasseur.

Félix la regardait manger sa fricandelle et décela un petit quelque chose au fond de ces yeux qu'il connaissait si bien. Un petit quelque chose qu'il n'avait pas du tout l'habitude d'y voir... elle était pensive, comme absente. Quelque chose n'allait pas, il en était persuadé. Comment faire pour lui redonner le sourire ?

Quelques jours plus tard, il la retrouva sur la grand-place où ils avaient leurs habitudes, et lui demanda de reprendre la farandole. Elle le regarda avec les yeux exorbités, comme s'il lui avait demandé de décrocher la lune. Et puis elle vit le sourire moqueur qui naissait dans les yeux de son cousin et sourit doucement, un peu tristement. Elle lui pardonnait sa maladresse, sachant que tout cela partait d'un bon sentiment. Et elle lui expliqua. Le vide en elle, qu'elle tentait de combler en occupant tout l'espace autour d'elle. Sans aucun succès. La tristesse en elle, qu'elle tentait de conjurer en grands éclats de rire à l'extérieur, autour, pour les autres.
Il comprit la tristesse de son regard, le tremblement de son sourire, et déposa un baiser sur la joue de sa cousine, en lui disant qu'elle n'avait pas besoin de tricher. Qu'elle était fantastique, quoi qu'elle fasse.

Fiona sourit elle aussi, un peu plus franchement déjà. Elle se dit qu'elle pourrait essayer d'arrêter de faire semblant et qu'elle n'était pas obligée de se cacher derrière un personnage de cirque. Qu'il était peut-être temps qu'elle regarde bien en face celle que le miroir reflétait, qu'elle regarde celle qu'elle était réellement. Et que peut-être, un jour, elle apprendrait à aimer vraiment.

Amélie Platz, 8 août 2011

28 commentaires:

  1. j'ai pris une minute entre deux apéros (oui deux aujourd'hui !), les prochains arrivent à 20 heures... Ton texte est superbe et j'aime l'atmosphère que tu as su créer ! Elle me plaît cette Fiona (encore un F, bravo pour le clin d'oeil...) A suivre, elle ! ;)

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  2. Pourtant, c'est le texte qui m'a posé le plus de problèmes celui-là ! Contente que tu aies apprécié... et bonne soirée ! J'espère que tu as passé une belle journée.
    :)

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  3. Les clowns ont tous une tristesse à cacher.. Joli portrait, et tellement vrai pour lui ressembler un peu (à ma dernière sortie avec mes stagiaires, je leur ai fait Billie Jean sur les dalles de la ville !:-) Bonnes vacances !:-)

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  4. Ah le clown et sa tristesse ... C'est étonnant de voir que parmi la liste de mots, il y en a un qui devient le fil directeur. Pour toi, c'était fantasque qui a donné vie à cette fragile Fiona.
    Très joli personnage, d'ailleurs. On a envie de la connaître un peu plus.

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  5. contente d'avoir accompagnée quelques instantanés de la vie de Fiona... qui j'en suis persuadée va savoir rebondir dans un prochain texte grâce à ce cousin... ah! les cousins!

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  6. On est beaucoup à être ta "Fiona"...
    Avoir le courage d'être soi-même, comme c'est difficile. Un beau récit campé dans la réalité de la vie.
    Amitiés de Lyon

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  7. Belle histoire et joli personnage. On a souvent une cousine ou un cousin avec qui l'on a partagé plus qu'avec les autres.

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  8. C'est un très beau portrait.

    Des Fiona il y en a tellement. On passe à côté d'elles. On les trouve fascinantes ou extravagantes.. si on savait la douleur qui se cache derrière ce masque si lourd à porter.

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  9. Je n'ai jamais aimé les clowns lorsque j'étais petite. Même maintenant. Mais à l'époque je ne comprenais pas pourquoi ils me faisaient pleurer.
    Ce sont ses origines irlandaises qui la rendent mélancolique.

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  10. tu reviens quand ??? ça suffit les vacances !!! :D

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  11. j'ai bien fait de venir ici ! j'aime beaucoup ton personnage, cette folie mêlée au mal-être, la folie, la joie pour cacher un mal plus profond, c'est souvent le cas, non ?

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  12. Personnage touchant par sa tristesse et son malaise... Bravo Amélie, l'atmosphère et l'émotion sont là... A bientôt...
    Je vais répondre à ton long com sur mon blog dès que j'en ai le temps... peut-être ce soir ou demain...

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  13. @ Asphodèle : Je suis revenue hier soir, et suis encore en pleine lecture des différents textes ! Je n'ai même pas eu le temps de lire le tien, d'ailleurs...
    @ Bettina : Merci de ta visite et bienvenue ici ! J'espère n'avoir pas été trop longue chez toi...
    @ tous : merci pour vos commentaires et appréciations ! Comme beaucoup d'entre vous l'ont souligné, il existe beaucoup de Fiona... on a sans doute tous une part de nous-même que l'on cache, non ? Bon week-end !

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  14. Un bien joli portrait que tu nous fais là avec cette Fiona et ses deux facettes, la joie cotoyant le mal-être.

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  15. Merci Manuel ! Je suis persuadée que chacun de nous a une part cachée, qu'elle soit d'ombre ou de lumière, et que l'on ne connaît jamais réellement quelqu'un, qu'on peut toujours être surpris...
    Bienvenue sur ce blog !

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  16. Coucou Amélie,


    Je t'ai répondu sur mon blog au moins aussi longuement... c'est vrai que si tu n'as pas suivi depuis le début mon blog, ce billet peut surprendre et paraître très provoc... mais je ne m'en cache pas, les fanatiques et religieux de tous poils me sortent par les yeux quand leur croyance est une sorte de croisade... j'ai quitté la politique pour la même raison, le sectarisme... alors, je provoque un peu, beaucoup passionnément, pour tenter de faire réagir. Ton com m'a fait plaisir en fait, car il permet une explication plus logique et l'abandon du "style"provocateur que j'affectionne... ma façon de traiter les sujets n'est pas toujours sérieuse parce que je me moque avant tout de ce qui m'apparaît injuste, méchant, bête ou ridicule... je ne fais effectivement pas de quartier car j'en ai eu marre du comportement consensuel qui fait passer les pires mesures avec l'air de rien... et du coup, misère, chômage, diminution de nos acquis, tout passe...
    A bientôt j'espère...

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  17. Coucou Bettina !
    J'ai lu ton commentaire, (tes commentaires, plutôt, ici et chez toi !), et je te prépare une réponse. Ce soir ou demain ? :)
    Merci d'accepter le dialogue ! il n'y a que ça de constructif...

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  18. Moi je l'aime beaucoup Fiona, elle est attachante.. Bravo !

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  19. Un très joli portrait campé sur une réalité que l'on ressens... Elle est attendrissante cette Fiona... :)

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  20. @ Julia : Merci ! Elle est juste humaine...

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  21. vraie sensibilité, fausse clownerie, ... un dilemme que je connais à mes heures.
    Bravo pour ce joli texte.

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  22. "Donner le change", oui on est nombreux à le faire. Il faut paraitre ...
    Essentiel d'être en accord avec soi même, retrouver l'estime de soi pour ne plus être obliger de porter un masque ... Fiona nous renvoie à nos propres contradictions !

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  23. @ Violaine : Je crois que tu n'es pas la seule ! et merci !
    @ Antiblues : Etre en accord avec soi-même, quitte à affronter le regard des autres, je trouve cela difficile dans notre société basée sur l'apparence, la jeunesse, le diktat du "ça va" même quand ça ne va pas... Mais quelle libération quand on y parvient !

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  24. Je découvre ton texte ce matin au petit déjeuner? j'ai beaucoup aimé l'ambiance et la description de ton personnage. Une très jolie façon d'apprivoiser des mots assez difficiles!

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  25. Oups, ce point d'interrogation n'a rien à faire là!

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  26. @ Célestine : Merci beaucoup ! (et ne t'en fais pas pour le point d'interrogation : ça arrive, les fautes de frappe !)

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