jeudi 4 août 2011

Réminiscences


Lundi, chez Asphodèle, la récolte fut encore bonne ! Je n'ai rien proposé cette fois-ci, mais me suis malgré tout mise à l'écriture. Cette semaine, c'est la semaine en « E ».

Les 13 mots récoltés étaient : élixir – estival – évanescent(e) – émeraude – évanoui(e) – étincelle – élégie – écrevisse – éléphant – excédé(e) – éventail – étreinte – eucalyptus.

Pas facile, donc, surtout pour évanescent et élixir, qui m'ont donné du fil à retordre. J'espère que le texte qui est arrivé finalement trouvera quelques lecteurs indulgents...

Réminiscences

Éléonore ouvrit les yeux et s'étira. Elle regarda autour d'elle, sans reconnaître l'endroit où elle se trouvait. Elle était allongée sur un lit double, dans ce qui lui sembla être une chambre d'hôtel. Elle s'assit au bord du lit et attrapa le peignoir qui se trouvait sur la couette, sans bien comprendre ce qu'elle faisait là. La chambre était vaste et richement décorée. Face à elle, une console supportait un vase vert émeraude dans lequel s'épanouissaient de magnifiques roses rouges. En faisant le tour de la pièce, elle s'approcha d'abord de la bibliothèque dans laquelle elle découvrit divers volumes et recueils de poésie : les poèmes de Verlaine, les œuvres complètes de Rimbaud et de Joachim Du Bellay, les élégies de Ronsard, mais aussi la première édition des Fleurs du mal de Baudelaire et tant d'autres. Éléonore continua son exploration et s'arrêta devant une vitrine de verre abritant un éventail chinois représentant un éléphant de jade dans une forêt d'eucalyptus visiblement ancien, et surtout magnifique. La jeune femme s'y connaissait en antiquités et objets d'art et appréciait particulièrement ce qu'elle avait sous les yeux. Elle ignorait encore où elle se trouvait, mais un tel environnement ne pouvait être néfaste tant il était beau et raffiné. Pour tout dire, il lui semblait avoir été conçu pour elle, tant il correspondait à sa fibre artistique. Même le choix des livres semblait avoir été fait pour elle... Sa première intention avait été de quitter la chambre pour essayer de comprendre comment elle était arrivée là, mais son impatience s'était évanouie quand elle avait vu les merveilles qui l'entouraient. Sur une desserte de l'entrée de la chambre, un plateau d'argent portant une enveloppe cachetée à son nom attira malgré tout son regard. Elle ouvrit le pli et y trouva une feuille d'un épais papier filigrané où était inscrit un message laconique : « Je vous attends dans la salle à manger. ». Le message ne comportait aucune signature, ajoutant encore au mystère.

Éléonore retourna dans la chambre à coucher et tenta d'y retrouver les vêtements qu'elle portait la veille... sans succès. Elle avisa alors une porte entrouverte et eut la surprise d'y découvrir un dressing exceptionnellement bien fourni. En examinant de plus près les vêtements qu'il contenait, elle se rendit compte que tous étaient à sa taille, signalant par là que son hôte la connaissait exceptionnellement bien. Elle regarda par la fenêtre : le temps estival était trompeur et elle ne savait pas bien si c'était l'heure du déjeuner ou celle du dîner... Elle entendit alors l'horloge du salon sonner huit coups... il était plus tard que ce qu'elle s'était imaginé, mais au moins, elle savait maintenant comment s'habiller. Quelques minutes plus tard, elle sortait de la salle de bain, prête à affronter l'inconnu et à percer le mystère.

***

La jeune femme sortit de la suite où elle s'était éveillée en se demandant comment elle allait trouver la salle à manger. Aucune indication ne lui permettant de se diriger, elle décida d'explorer la vaste demeure, se rendant compte au fur et à mesure de sa progression que celle-ci devait davantage mériter le nom de manoir. Elle se demandait si elle parviendrait au but quand une odeur particulièrement incitative lui fournit la réponse à sa question : la salle à manger était maintenant toute proche, apparemment sur sa gauche. La lumière évanescente du couloir qu'elle longeait semblait lui indiquer le chemin à suivre, et elle décida de faire confiance à ces indices pour trouver sa route. Effectivement, quelques mètres plus loin, une double porte vitrée était ouverte, découvrant la salle à manger. Éléonore s'approcha. La pièce était plongée dans la pénombre, si bien qu'elle ne pouvait y distinguer grand chose si ce n'est la table elle-même. N'importe qui à sa place aurait été excédé de ne rien savoir, ni sur l'endroit où il se trouvait, ni sur l'identité de la personne qui s'arrogeait ainsi le droit de contrôler ses déplacements, ses faits et gestes. Mais la jeune femme, elle, n'était qu'étonnée... elle commençait certes à se demander à quoi pouvait bien rimer ce jeu de piste qui, sous des apparences plaisantes, révélait de la part de son partenaire invisible une maîtrise totale du jeu en plus de sa parfaite connaissance tant de ses goûts que d'elle-même, mais la curiosité était plus forte que tout autre sentiment à ce moment-là. L'inquiétude montait peu à peu, sans parvenir pour autant à l'arrêter. Il fallait qu'elle sache qui se cachait derrière tout cela, et si le fait qu'un inconnu en sache autant sur elle n'était pas fait pour la rassurer, sa volonté de connaître le fin mot de l'histoire supplantait toute autre question et reléguait la prudence qui aurait été de mise aux oubliettes.
Sur la table, la jeune femme devina une soupière dont elle prit la liberté de soulever le couvercle. Un agréable fumet de bisque à l'écrevisse lui chatouilla aussitôt les narines, allumant dans le même temps une étincelle dans son cerveau, comme une réminiscence, un lointain souvenir qui remontait à la surface de sa mémoire engourdie.

Éléonore s'installa face à l'assiette avec un léger sourire. Elle porta à ses lèvres le verre qui se trouvait face à elle, sachant désormais quel élixir elle allait y goûter. Elle ferma les yeux, laissant remonter les souvenirs d'une époque qu'elle croyait révolue. Elle perçut un léger bruit derrière elle, comme un frôlement ; et un frisson d'impatience parcourut son échine quelques secondes avant que les bras d’Étienne ne l'enserrent en une étreinte chaude, douce et rassurante, réveillant ses sens, redonnant goût à sa vie si vide depuis la disparition de celui qui avait été l'unique amour de sa vie.

***

Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle reconnut immédiatement sa chambre, son lit, son environnement quotidien. Elle était dans son appartement, et elle sentit que, comme presque tous les jours depuis l'accident, les larmes aujourd'hui encore ne se tariraient pas.

Amélie Platz, 4 août 2011.

18 commentaires:

  1. Le lien marche !!! je viens de finir d'en insérer une vingtaine...
    Ton texte est très beau, très émouvant aussi... Et j'aime beaucoup la chute ! Même si...hélas... Bravo Amélie ! :)

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  2. Très beau texte qui nous emporte comme une vague pour nous mieux nous désoler ensuite :-)

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  3. Arghh quelle chute ! On s'attend à de l'exotisme, on est curieux de savoir qui est cet inconnu, on avance dans notre lecture, impatient, et puis, tu nous cueilles au passage.
    J'aime beaucoup.

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  4. Oh qu'elle est triste cette chute ... Le texte est superbe ! On est rongés par la curiosité jusqu'à cette fin abrupte !

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  5. Le refuge du rêve. Très beau texte.

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  6. C'est un peu la Belle dans le château de la Bête... mais la fin est bien dure pour mon petit cœur sensible! J'aime bien ta manière de prendre ton temps pour raconter ton histoire... et ce style toujours impeccable.

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  7. Ah, quelle chute ! Et j'aime beaucoup ton style !

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  8. le texte est superbe, on est aspiré vers la fin, très beau style, j'ai beaucoup aimé.

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  9. une belle écriture qui nous fait aller pas à aps vers la terrible chute

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  10. bien triste chute effectivement. J'avais en tête l'air d’Éléonore Rigby en te lisant, quelle coïncidence ! 8)

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  11. J'ai aussi beaucoup aimé la chute, mais aussi toute cette description, ce mystère qui plane !

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  12. C'est une bien jolie nouvelle que tu nous as écrite là, Amélie! Avec la fin en forme de bulle, qui vient éclater au visage du lecteur comme un chewing-gum trop gonflé. Il m'a fallu du temps pour enlever une à une les éclaboussures sur mes joues! Bravo pour ce magnifique tour de prestidigitation.

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  13. Oh mais non, quelle déception que cette chute, on aurait tellement voulu qu'elle ait le bonheur de le retrouver...

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  14. :)) J'aime beaucoup la chute et l'idée "cruelle" de revivre de cette façon de si troublants instants...
    Ton écriture est fluide et me plait :)

    (Bon ben j'ai fini par trouver ton blog tout simplement chez Asphodèle -suis-je bête ;)) j'avais d'abord cliqué sur ton profil blogger de chez moi sur ton comm ^^)

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  15. Comme c'est dommage et triste... On aurait aimé que la réalité de la fin de ton histoire soit tellement différente, après ce long et beau texte.
    Amitiés de Lyon

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  16. Quelle belle trame, description raffinée, questionnements et douleurs ! Quel talent, je suis bluffée !!

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  17. @ toutes et tous : Réponse collective parce que je ne suis pas chez moi et que je laisse la priorité aux vacances :
    Un grand merci pour vos commentaires et encouragements ! La fin n'était pas celle-là... et il faut croire que je ne sais pas écrire les histoires d'amour façon Harlequin... Je tenterai un texte moins triste la prochaine fois ! :)

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  18. Très beau texte, la chute m'a bluffée.. Bravo.

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