lundi 12 septembre 2011

Le maléfice du stylo à plume


Un objet peut-il être maléfique ? C'est la question que se posait Enora en ce lundi matin. Elle avait passé des nuits entières, des journées hypercaféinées à écrire. L'histoire, pourtant, était bonne, elle en était certaine. Elle avait tout écrit d'un jet, mue par une belle inspiration, sans faille. Les personnages de son histoire prenaient corps devant elle. Il y avait le héros, blessé (car on a tous une blessure cachée), mais pas prêt à se laisser démonter. Il était question, forcément, de sa rédemption, parce qu'Enora était convaincue que les événements difficiles, les doutes et les épreuves, vaincus, nous rendent plus forts. Il y avait aussi le personnage malin, mauvais, rustre, antipathique, fourbe, qui n'avait qu'une chose en tête : mettre des bâtons dans les roues du héros et de ses alliés (parce qu'on s'en sort, aussi, bien mieux et bien plus facilement quand on est épaulé).
Le décor aussi était planté, à la fois riche, chaleureux, mais aussi mystérieux et sombre par endroits.
Seulement voilà. Quand Enora relut son manuscrit... elle n'y retrouva pas ce qu'elle avait eu en tête, ce qu'elle voulait écrire. Comme si son stylo avait couru sur la page, indépendamment de la main qui le guidait. Comme si les personnages nés de son imagination avaient vécu leur propre vie, sans elle, et qu'elle était témoin, à l'occasion de cette relecture, de leur véritable naissance.
Elle faillit prendre le tas de feuillets posés là, devant elle, et le mettre tel quel dans la corbeille. Parce que cette histoire n'était pas la sienne, pas celle qu'elle avait voulu écrire. Et puis... quelque chose l'arrêta. Ces héros de papier étaient certes différents de ceux qui étaient nés dans son imagination. Mais ils étaient là. C'était son écriture, sur ces pages. Son écriture fluide, rapide, d'un jet avec d'immenses ratures quand elle changeait d'avis. C'était bien elle qui avait écrit cette histoire, et la seconde relecture lui apprit que, pour être différente de celle qu'elle avait en tête, cette histoire-là n'en était pas moins bonne.
Ce stylo qu'elle pensait maléfique, possédé, avait permis la naissance de cette histoire, un peu malgré elle, mais dans laquelle elle se retrouvait.
Ce stylo pouvait-il être, finalement, bénéfique ?
L'avenir (et son éditeur) le lui diraient...



C'était ma participation au Rendez-vous avec un mot d'Eiluned, avec le mot Maléfice à l'honneur cette semaine !

6 commentaires:

  1. Très jolie chute ! Et texte fort sympathique !

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  2. très bonne idée... que la vie autonome de ce stylo...

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  3. Ah ha ! Est-ce le stylo ou Docteur Freud ??? Le maléfique lui a-t-il permis d'écrire enfin de dont elle rêvait ? Jolie question et texte bien écrit ! :)

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  4. Oh oui ! (réponse à sa question)

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  5. très bon texte, c'est vrai qu'on se laisse parfois emporter par le stylo :)

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  6. Merci pour vos commentaires : cette question de l'indépendance des personnages me fait parfois complètement délirer ! ET pour une fois, c'est "sorti" à l'écrit... tel que je le voulais ! C'est pas beau, ça ??? :)

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