Voici la consigne de Gwen pour l'atelier de cette semaine :
"Un article récent de Claudialucia est à l’origine du sujet que j’ai envie de vous proposer aujourd’hui. A mi-chemin entre l’autobiographie et la construction de personnage, vous allez devoir énumérer les objets figurant dans le Cabinet de Curiosités de votre « double ». Votre double? Oui, un homme ou une femme pas tout à fait comme vous et pas tout à fait autre non plus. Votre « moi » rêvé ou fantasmé en quelque sorte… qui vous permettra de vous dévoiler un peu, beaucoup ou pas du tout…
Comment procéder? Eh bien tout d’abord en décrivant le lieu où se trouve ce Cabinet de Curiosités (forcément révélateur) puis en énumérant les objets qui s’y trouvent et éventuellement en racontant leur histoire. Vous pouvez pour cela utiliser la première personne mais aussi le personnage d’un amateur, d’un fan, d’un amoureux éconduit ou d’un journaliste qui se lance sur les traces de votre double, bien décidé à en apprendre davantage… Sur la forme vous être donc relativement libres. Sur le fond, vous devez trouver des objets (au moins une dizaine) qui permettront au lecteur d’esquisser un portrait de celui ou celle à qui ils appartiennent (au moins virtuellement… ). Débridez votre imagination, votre poésie et laissez s’envoler vos rêves les plus secrets ou les plus fous…
Rendez-vous dimanche à 18 heures. Vos textes peuvent être envoyés à atelier(at)skriban(point)eu ou bien à mon adresse personnelle. Cogitez-bien!"
Alors voici mon texte.
Il s'appelle Jacques. Il a trente-neuf ans et est photographe. Je l'ai rencontré lors d'une de nos aventures, assez mouvementée, d'ailleurs ! Celle-ci n'a duré que 24 heures, mais quelle histoire ! Je suis allée chez lui, et j'ai exploré. Pas de problème pour entrer : j'ai ma combine. Et ce que j'ai découvert est très évocateur ! Jacques vit dans un appartement de trois pièces, au-dessus de l'agence locale d'un des quotidiens régionaux. Un duplex. En fait, il y a un peu plus que trois pièces. Un vaste et lumineux séjour, avec un bureau attenant, et une chambre à l'étage. Et puis, au fond de la chambre, une petite porte qui ouvre sur une pièce retirée, toute petite. Assez sombre parce que sans fenêtre, c'est une sorte de débarras, mais un débarras particulièrement bien agencé, ce qui donne l'impression que la pièce est plus grande qu'elle n'est en réalité. Et c'est un débarras étrange, vous pouvez me croire ! On y trouve de jolies choses, d'ailleurs, et sans doute aussi pas mal de ses secrets.
Jacques vit seul. Mais il a été marié. J'ai trouvé un album photo dont la plupart des clichés ont été retirés, sauf un. Une belle femme, cette mariée, d'ailleurs. Un nom est écrit, sous la photo. "Louise". Sa femme, sans doute. Dommage qu'elle soit seule sur la photo : j'aurais bien aimé être sûre qu'il s'agit bien "d'elle" ! Il n'a gardé qu'un cliché... sans doute a-t-il été incapable de la virer totalement de sa vie ? Comme je le comprends ! Renoncer à un mariage, à son couple, doit être particulièrement difficile... Bref, qu'y a-t-il ici, à part cet album ? Des boîtes. Avec des photos. Encore. Des photos d'un bébé, d'une petite fille. Sa fille, peut-être ? Sa fille, leur fille plutôt ! Seulement, elle aussi a disparu. Quelle tristesse, cette famille détruite...
Dans ce débarras, j'ai aussi trouvé divers objets. Une collection, même, d'appareils photos. Plusieurs générations en fait, dont un vieil appareil photo argentique, qui date au moins des années 1950. Un héritage ? Ou bien son premier appareil ? Non, il n'est pas si âgé que ça. Cet appareil appartient peut-être à son père, à sa mère ? En tout cas, on n'en fait plus des comme ça. Mais si ce n'est pas un appareil de professionnel, les photos prises avec sont d'excellente qualité quand même ! Oui, de la bonne camelote. Il y en a d'autres, des appareils numériques de différentes qualités, depuis les appareils grand-public jusqu'aux outils professionnels, y compris les téléobjectifs et les filtres. Les utilise-t-il encore ? Impossible de le savoir...
Il y a aussi une boîte en carton avec des papiers divers, extraits d'actes de naissance, dont celui d'une petite fille, Ivana. Sa fille. Un acte de mariage, des papiers officiels, d'identité, oui, cet homme a eu une vie, qui semble être terminée. Mais il est conservateur ! Et puis, à côté, là, sur l'étagère, c'est bien un djembé ? Une sorte de petit tambour, de ceux qu'utilisent les musiciens africains... oui, c'est bien cela, de l'art africain. Il y a aussi des calebasses, des masques en bois, comme ceux que j'ai vus sur le mur, dans le salon. Je crois qu'il a une sœur qui a vécu au Sénégal pendant quelques années ? Il est peut-être allé la voir là-bas ? Ce serait très possible... Et d'ailleurs, dans la boîte là, il y a des tas de photos, sans doute prises là-bas... Il est austère, cet homme. Peu d'objets personnels, comme s'il manquait d'imagination, comme s'il gardait peu de choses dans sa vie. Il est pragmatique, il a l'esprit pratique. Pourquoi s'embêter à conserver tous ces objets ? Cette petite pièce semble rassembler les choses importantes de son passé, de sa famille. Peu d'objets personnels, peu d'intimité. Comme si ça l'encombrait. Quelques livres, pourtant. Au fait, que lit-il ? Bernanos. Margaret Mitchell. Georges Orwell. Edgar Allan Poe. Guy de Maupassant. Baudelaire. Christian Gailly. Emile Zola. Stieg Larsson. Bizarre qu'il les ait mis ici. J'ai vu une bibliothèque dans son bureau. Ils devraient s'y trouver, sauf si ces livres ne lui appartiennent pas, ou qu'ils lui rappellent trop de choses ? Et s'ils étaient à « elle » et qu'elle les avait laissés là ? Il n'a pas voulu les lui rendre ou elle n'a pas voulu les récupérer ? Dans un cas, il est lecteur, dans l'autre, elle n'aime pas ces auteurs... double interprétation possible... et pas de réponse. Pour l'instant ! Tiens... et là, sur le haut de l'étagère, dans le carton à dessin, qu'est-ce que c'est ? Encore des photos ? Des tirages grand format, des portraits. Une femme. Celle de l'album. Louise.
Et une petite fille. Elle a environ 4 ans. 5 peut-être. Elle est belle, oui, une jolie petite fille. Ah, au dos, il y a un nom : Ivana. C'est bien elle. Voici enfin à quoi elle ressemble ! Je comprends qu'il ait du mal à se remettre de sa disparition. Il a dû l'aimer, cette petite. Au point de garder des souvenirs : la boîte, là, tout en bas, c'est une sorte de résumé de sa vie. Un bracelet de maternité, une enveloppe avec une mèche de cheveux blonds, quelques dessins, une photo de classe, un petit tableau peint, avec un cœur rouge sur fond jaune et des paillettes collées. Sans doute un cadeau de fête des pères... une vie brisée. Rien d'autre. Le vide. Le chagrin.
Cet homme garde là quelques bribes de son histoire, de son passé, qu'il ne peut dépasser, qu'il refuse de laisser partir. Comment effacer tout cela ? C'est impossible. Et pourtant, ce portrait ne ressemble pas à l'homme que j'ai rencontré l'autre jour. Ce n'est pas cet homme brisé, replié sur le passé que j'ai vu l'autre nuit. Celui que j'ai rencontré est prêt à revivre, à renaître.
Je vais me retirer. J'en sais plus sur lui, maintenant. L'image que j'ai de lui me plaît bien. Elle complète bien celle que je m'étais faite de lui, lors de notre rencontre de quelques heures. Il ne lui manque plus grand-chose pour repartir.
Et moi ? Je ne suis personne. Une petite messagère. Je m'appelle Siobhan.
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