dimanche 16 octobre 2011

Il est fort !


Il est fort, mon homme, non ? Vous avez vu ce qu'il arrive à faire ? Parce qu'avouez qu'il faut le faire, de grimper comme ça, sur un réverbère ! Bon d'accord, ce n'est pas un exploit olympique non plus, mais quand même... il n'a même pas de lacets à ses chaussures ! Cela pourrait l'handicaper, vous ne croyez pas ? Eh bien non ! Il est plus fort que ça ! Trop fort, en fait !
Ce qui me tue, c'est l'indifférence des gens. Sur la photo, on ne le voit pas, mais pendant qu'il escaladait le réverbère, les autres s'en fichaient royalement, ils ne lui ont même pas jeté un regard, pas une seule exclamation, pas une seule félicitation ou même un petit mot gentil...
Mais je m'en moque. Il est le meilleur quand même. Il est trop beau, mon homme ! Trop fort, et si impressionnant... quand il me regarde, je fonds littéralement ! Il a de beaux yeux noisette, très tendres, si francs... Impossible de détourner les yeux, quand je vois les siens... Je suis totalement hypnotisée ! Vraiment, il a sur moi une influence positive, il me fait vivre, c'est comme si je n'avais pas vécu avant de le rencontrer. Vous n'avez jamais ressenti ça, vous ? Le monde pourrait s'écrouler, peu m'importe, puisqu'il est là, qu'il me regarde, me prend la main et est toujours avec moi ! Je suis prête à tout pour lui, il n'a qu'à demander.

Quelques jours après celui où cette photo a été prise, je me souviens, j'étais dans la rue, avec lui, et nous étions en train de marcher vers le cinéma. Oui, il m'avait invitée pour une séance l'après-midi, cela faisait un petit moment que je voulais y aller, et il n'avait jamais le temps. Il travaille beaucoup, pour ses études, et entre son job alimentaire et ses cours, c'est parfois compliqué. Bref, il y avait une manifestation, comme souvent à Paris, et il n'a eu qu'un mot à dire. Il n'aurait rien dit, je l'aurais suivi. Là, je l'ai vu dans son regard, et il a juste dit : "D'accord ?" J'ai fait oui de la tête et on est partis comme ça, dans la manif. Défendre le pouvoir d'achat de je ne sais qui. Tant pis pour le ciné, ce sera pour un autre jour ! C'est qu'il est comme ça, lui, altruiste, toujours prêt à défendre la veuve et l'orphelin !
C'est comme la semaine d'avant, quand on devait aller au restaurant pour mon anniversaire : au dernier moment, j'étais prête à partir, quand le téléphone a sonné. C'était lui. Il m'a dit qu'il arrivait avec un pote et de quoi manger, et m'a demandé si ça ne m'embêtait pas qu'on reste chez moi : c'était plus pratique parce que mon appart est plus grand que le sien, et il voulait quand même qu'on se voie. J'ai dit oui, bien sûr ! Et puis tant que je peux passer la soirée avec lui, tout va bien, je m'en fiche, que ce soit au restau ou chez moi ! Bon, c'est vrai, j'en ai un peu soupé des pâtes carbonara quand on mange chez moi, mais là, c'était exceptionnel. Et la prochaine fois, c'est restau ! Et ce sera lui qui m'invitera, il me l'a promis. Parce que là, en fait, il a juste apporté les pâtes : c'était tout ce qui lui restait, et heureusement que j'avais encore des lardons et de la crème, et puis j'ai fait un gâteau vite fait, parce qu'un repas d'anniversaire sans gâteau, c'est plus un anniversaire, hein ?

Cette photo, je l'aime vraiment. Elle me rappelle de bons souvenirs ! Qu'est-ce qu'on avait ri, ce jour-là !

Oui, c'était une bonne journée. Dommage que...

Dommage qu'il ait fini par oublier sa promesse de m'emmener au restaurant pour fêter mon anniversaire, comme il l'avait promis. J'aurais bien aimé passer une soirée en tête à tête avec lui. C'est vrai qu'il est étudiant, qu'il n'a pas beaucoup d'argent et qu'un studio à Paris, ça coûte un max, mais je ne lui demandais pas la lune non plus ! Juste un petit repas, n'importe où !

En fait, c'est bien, cette relation. Je suis obligée de réfléchir à ce que c'est un couple. A ce que ça veut dire, "aimer quelqu'un". C'est quoi, finalement, l'amour ? Je me vois en train de tout accepter pour lui, en train de faire ce qu'il me demande de faire, pour lui faire plaisir, et parce que c'est important pour lui. Donc ça l'est aussi pour moi, normal, non ?
Du coup, je me demande si ce qui est important pour moi l'est aussi pour lui. Ca devrait, non ? Ou alors les hommes ne "fonctionnent" pas comme les femmes ? Bizarre, hein ?

En tout cas, je l'aime. Et j'aime cette photo. Même si, entre nous, c'est fini. Il ne m'aimait pas. Il aimait que je l'aime...

Amélie Platz, 16 octobre 2011.

Voici ma participation au jeu de Leiloona, Une photo, quelques mots !

7 commentaires:

  1. Une histoire dépeinte avec beaucoup de sensibilité :)

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  2. Différentes tristesses : celle due aux gens qui ne voient plus autrui, mais aussi cet homme qui ne regardait finalement pas sa femme ... Au final, cette femme qui reste seule, avec toujours autant d'énergie dans " la voix", ou plutôt dans ses mots.
    Un texte triste raconté par une narratrice énergique. On a envie de la prendre dans nos bras. ;)

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  3. C' est bizarre! Dès le début, je me suis dit: ça va mal finir...

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  4. J'ai beaucoup aimé ton texte ! Il est bien construit !
    La phrase "il me fait vivre, c'est comme si je n'avais pas vécu avant de le rencontrer. " m'a fait penser aux vers d'Eluard "Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu // c'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu"" :)

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  5. Etrange ! j'avais commencé à écrire mon histoire sur ce thème-là, pensant qu'il serait abordé par plusieurs, j'ai rejeté l'idée ... j'aime bien ton récit malgré la fin ...

    Un jour, j'ai escaladé des pots de fleurs géants pour crier mon amour ... comme nous avons ri !! ... il en reste des photos et ... toujours l'émerveillement de l'amour !!

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  6. Un amour non partagé mais qui nous emmene loin dans les pensées de ton heroïne . Amoureuse mais très lucide

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  7. toujours aussi bien écrit... on se laisse entraîner par les mots...

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