Plumes épistolaires 1

H***, samedi 15 octobre 2011

Cher toi,

J'aimerais avoir encore vingt ans. L'âge où tout est possible. Où les sentiments sont toujours très beaux, très purs, où le cœur se met à battre à toute vitesse quand on voit celui qu'on aime en secret. Ce matin, j'ai pensé à toi. Une fois de plus. Bien sûr, tu as ta vie, j'ai la mienne, je suis mariée, heureuse de l'être, d'ailleurs, hein, ne va pas croire le contraire, surtout ! J'ai trois enfants, tous plus beaux les uns que les autres ! Il faut dire que leur père est bel homme, et d'après ce que tu m'avais dit il y a 15 ans maintenant, il semble que je ne sois pas non plus un laideron. En tout cas, quand je vois ma fille aînée, je fonds devant tant de grâce et de beauté. Cette petite a beaucoup de charme. Et je ne peux qu'être très fière : il paraît qu'elle me ressemble. Finalement, je vais finir par te croire, devant cette preuve-là... Alors oui, sans doute suis-je belle aussi. Quand je regarde dans le miroir, pourtant, j'en doute encore, mais si je regarde les photos de mon enfance, je crois voir le visage de ma fille...

J'ai lu récemment un roman qui racontait une histoire qui aurait pu être la nôtre. Celle d'un homme et d'une femme qui passent leur vie à se retrouver, à se perdre à nouveau, qui font des choix contraires à leur intérêt, qui accumulent les erreurs, les bêtises, et qui finissent par se retrouver vraiment. Ai-je envie de te revoir ? Pour l'instant, je ne sais pas. C'est difficile. J'aime vraiment ma vie maintenant. Je suis plus heureuse que je n'ai jamais été. Et pourtant, à chacun de tes mails, de tes tentatives de reprendre contact avec moi, je me remémore ce qui s'est passé il y a de cela 15 ans, et j'avoue que je me demande toujours ce qu'aurait été ma vie si "elle" n'avait pas été là, si "elle" n'avait pas tout fait pour nous séparer, si son chantage n'avait pas tout bousillé entre nous et ne t'avait pas privé de cette liberté de choisir entre elle et moi.

Est-ce que je t'aime toujours ? Non, je ne pense pas. Est-ce que je suis indifférente ? Peut-être, mais si c'était vraiment le cas, tes tentatives de reprendre contact ne me mettraient pas le cœur sens dessus-dessous. Suis-je en colère ? Non, plus maintenant. J'ai passé ce cap il y a dix ans. Quand j'ai rencontré mon mari. Mais j'ai souffert. Énormément. Et ça, ce sera encore très long avant que je puisse te le pardonner. C'est ça, le nœud du problème : je ne peux pas te pardonner de m'avoir abandonnée pour "elle". D'accord, elle t'a fait un bébé dans le dos. Mais qu'est-ce qui t'a pris, aussi, de coucher avec elle alors qu'on était officiellement ensemble, hein ?

Oui, je suis toujours en colère, finalement. Et ce n'est pas près de se terminer, parce que jamais tu ne m'as dit quels étaient réellement tes sentiments pour moi. Ce serait plus simple si tu ne m'avais pas aimée, si je n'avais été qu'un jouet pour toi. Parce que là, au moins, je pourrais te haïr.

Je ne veux pas entrer dans le pathos. Parce que m'apitoyer sur mon sort, ce n'est pas mon style ! J'ai parfois envie d'aller par chez toi, et de débarquer pour mettre le bordel dans ta vie comme tu as bousillé la mienne. Ça, ce serait marrant ! Débarquer chez toi, dans ta petite famille bien rangée... elle est au courant, au fait, ta fille, que sa mère s'est servie d'elle pour te récupérer ? Belle mentalité, hein ?

Allez, je refuse de me rendre malade pour toi. Finalement, tu n'es qu'un faible et tu ne vaux même pas le papier, le timbre, l'encre et l'enveloppe que cette lettre va me coûter. J'aurais mieux fait d'écrire un mail.

Moi.

Amélie Platz, 15 octobre 2011

Voici ma première participation au jeu d'Asphodèle et Aymeline, les Plumes épistolaires, dans la catégorie Roméo & Juliette. On verra si je pourrai tenir le rythme (une lettre par mois, c'est faisable, mais c'est pas comme si je ne participais qu'à cet atelier :) !)