Jacinthe était une femme d'une soixantaine d'années, peut-être un
peu plus. Joueuse, d'humeur généralement joyeuse, elle vivait dans
un appartement du 19e siècle, décoré avec beaucoup de soin. La
pièce qu'elle préférait était le salon, dans lequel elle passait
chaque jour beaucoup de temps. C'était une pièce d'environ 20 m²,
avec deux larges fenêtres à jalousies donnant sur la rue. Une
petite table en bois recouverte d'un napperon en dentelle trônait au
beau milieu de la pièce, sur un tapis persan en fils noués qui
recouvrait le plancher vernis de ses teintes rouge, marron et ocre.
Contre le mur se trouvait une petite bibliothèque de bois précieux
sur laquelle étaient rangés plusieurs ouvrages de littérature
classique que la vieille femme n'ouvrait jamais. Elle en avait hérité
de l'un de ses amis, huissier de justice, qui possédait toute cette
collection mais ne lisait pas non plus. D'ailleurs, cela se sentait
dans sa façon de parler : malgré les études qu'il avait faites,
ses conversations étaient parsemées de jérémiades, jurons et
janotismes divers, et finalement, il ne faisait souvent que
jaspiner... ce qui avait le don d'agacer prodigieusement Jacinthe,
malgré l'amitié indéfectible qu'elle lui portait. Le mobilier
était complété d'un secrétaire où la vieille femme s'installait
souvent pour écrire ses lettres. On était au siècle d'Internet,
mais Jacinthe n'avait jamais réussi à se mettre à l'informatique.
Tout cela, c'était bon pour ces êtres juvéniles qui utilisent
leurs téléphones comme juke-box et sont incapables d'écrire en
langue française, pressés qu'ils sont par le temps...
Ce jeudi-là, Jacinthe portait un pull en jacquard sur une lourde
jupe de couleur jade, et, assise devant le secrétaire, jubilait en
se remémorant ces vacances incroyables qu'elle avait passé sur la
côte, de nombreuses années auparavant. C'était lors de ces
vacances qu'elle était devenue une femme... Elle revoyait
parfaitement bien la scène. La mer au jusant forcissait, et, à bord
du petit voilier de Jacques, ils étaient seuls au monde et auraient
passé la nuit à bord si les conditions atmosphériques ne s'étaient
pas dégradées. Devant la tempête qui se préparait, ils avaient
jugé plus prudent de rentrer au port. C'est là, dans le bar qui
jouxtait la capitainerie, qu'ils s'étaient mis à l'abri, posant les
premiers jalons de leur histoire d'amour. Ce soir-là, ils avaient
fini par trouver une petite chambre dans un hôtel à proximité du
port, et ne s'étaient pas quittés de la nuit. Elle avait alors tout
donné à cet homme, le premier à la faire jouir... Il avait disparu
de sa vie bien longtemps auparavant, mais elle n'avait jamais pu
l'oublier, même si elle avait fait sa vie avec Henri, un homme qui
l'avait aimée au-delà de toute mesure. Mais Henri était mort la
semaine précédente. Et, maintenant, quelques jours après son
enterrement, elle savait qu'elle n'avait plus de temps à perdre.
Elle se moquait pas mal de ce que ses enfants diraient. Il s'agissait
d'elle, de son amour perdu, qu'elle avait peut-être une chance de
retrouver. Elle était prête, devant son papier à lettre.
(à suivre...)
Amélie Platz, 4 novembre 2011
Ceci est ma participation au jeu d'Asphodèle, les Plumes de l'année,
et cette semaine, nous jouions avec les mots en J :
Jusant
– jaspiner – juron – jubiler – jacquard – joyeuse –
juke-box – jade – jalousie – jokari (optionnel)
– jour – justice – juvénile – jeudi – jouir – jalon –
jamais – janotisme – jérémiade – jupe
Un peu engoncée cette Jacinthe mais ton texte est parfait, tu nous rends l'ambiance "moisie" de la petite bourgeoisie de province avec un saut plus frais dans le passé, ha ha que nous réserve la suite ? (J'ai mis ton lien, vraiment désolée mais je n'ai pas eu ton mail !)
RépondreSupprimerJ'ai hâte de savoir si elle va le retrouver, j'ai peur qu'elle ne soit déçue de le retrouver avec un képi...à moins qu'il ne se soit fait enlever par les Khmers rouges, ou enfui à jamais au pays des kangourous...
RépondreSupprimerLa suite ! La suite !!
RépondreSupprimerJe trouve que ça sent un peu la poussière dans la vie de cette femme. Hâte de suivre cette lettre à venir...
oh cruelle Amélie ! va-t-elle le retrouver ? ne sera-t-elle pas déçue ? très très beau texte, tu sembles écrire naturellement (d'ailleurs je me souviens que c'était dé&jà le cas cet été !) j'aime bcp tes textes...
RépondreSupprimerAlors c'est Jacinthe qui hérite de l' huissier de justice que j'ai trucidé pour asphodèle, je réclame ma part ...sinon contrat!
RépondreSupprimerpourvu qu'il ne soit pas mort, assassiné par une vieille maîtresse !
RépondreSupprimeron a envie que l'histoire dure encore un peu
@ Asphodèle : ambiance "moisie", oui, c'est à peu près ça ! Je vais rechercher ton adresse mail, mais je ne comprends pas : ma boite à lettres l'avait gardée en mémoire !
RépondreSupprimer@ Célestine : nul ne sait... les années passées laissent toutes les hypothèses ouvertes !
@ Manuel : La suite arrivera demain matin, avec le texte de l'atelier de Gwen. Patience !
@ Jeneen : Merci pour le compliment, je vais encore rougir ! Cruelle, moi ??? Si peu... :)
@ Wens : Que veux-tu... les héritiers ne sont pas toujours ceux que l'on pense ! ;)
@ anne : Mort ? Qui sait... :)
La Lettre demain devrait être interessante :-) on connait la fin :-)
RépondreSupprimerintéressant portrait cette Jacinthe
Mon com est parti dans la nature ! Jacinthe est étonnante et j'imagine qu'elle nous réserve quelques surprises.
RépondreSupprimer@ Valentyne : Reviens demain pour la lire, cette lettre !
RépondreSupprimer@ Jean-Charles : Jacinthe, surprenante ? Une petite femme comme ça... tu crois ? :)
Une nouvelle histoire qui promet des rebondissements, j'espère. :-)
RépondreSupprimer@ Ceriat : une suite, certainement, quant à savoir ce qu'il y aura après... On verra !
RépondreSupprimerBravo pour ton texte dont j'attends la suite avec impatience. Mais si je comprends bien même l'auteur ne sait pas ce qui va se passer?
RépondreSupprimertoujours à nous laisser en attente de la suite....
RépondreSupprimer@ ClaudiaLucia : Ben non, je ne sais pas, puisqu'elle n'est pas encore écrite ! (sauf la lettre, mais l'histoire n'est pas encore finie !)
RépondreSupprimer@ 32 Octobre : Désolée pour cette torture... ;-)