De Lôghar à Gobol

J'ai écrit ce texte en 2006, après la publication sur le site internet de l'Histoire de Gobol (voir billet précédent). Je n'étais pas satisfaite de ce texte : trop succinct, il ne me permettait pas de "penser" le personnage, et ne lui donnait pas la dimension qu'il avait pour moi. J'ai donc "complété", en lui inventant une histoire singulière, qui racontait les origines de sa folie, et qui permettait de comprendre pourquoi il en voulait tant aux dirigeants de Vinéa.
Voici dans un premier temps l'introduction, et le premier chapitre de la première partie de ce texte.




Mon vrai nom, c'est Lôghar. Je suis né sur Vinéa il y a une éternité.

Je suis apparemment le seul Vinéen à avoir pris du recul par rapport à cette société. A y avoir réfléchi, à avoir cherché un sens à tout ça. Finalement, ce sont les Vinéens eux-mêmes qui m'ont obligé à m'éloigner : ils m'ont banni de ma planète. Et pourtant, j'ai fait mon possible. J'y avais toute ma place. Mais quelque chose a dû leur déplaire en moi : malgré tout ce que j'ai fait pour cette planète, pour ses habitants, pour ses enfants… je n'ai pas eu d'autre alternative que de les quitter. J'ai même changé de nom, pour pouvoir continuer de vivre… J'ai pu ainsi disparaître du monde qui m'avait fait naître, et renaître au monde que je me suis créé. Aucun des Vinéens vivant aujourd'hui ne m'a connu quand je m'appelais encore Lôghar. Au début, j'ai regretté le monde d'où je venais. J'ai souffert de la solitude, malgré le réconfort apporté par la présence de mes robots. Il y avait mes androïdes, les « archanges » comme ils les ont baptisés, et surtout ma chère Hégora. Mais j'ai dû les laisser sur Vinéa : sans eux, mon oeuvre n'aurait pu survivre…

J'écris mes mémoires parce que je veux que quelque chose me survive, et que les Vinéens des générations futures puissent réfléchir à ce à quoi conduit leur société pour les êtres qui ne peuvent s'y sentir bien, pour une raison ou pour une autre.
Certains disent que je suis fou, d'autres que je suis un génie… Je ne me sens ni l'un ni l'autre. Simplement pas à ma place.

Si j'écris aujourd'hui, c'est parce que je ne sais pas si je survivrai à mon prochain projet. Il me semble être le plus dangereux de tous ceux que j'ai menés à bien jusque-là. Et puis, si je ne reviens pas, je ne manquerai à personne. Personne ne se soucie de moi. Je me demande même si quelqu'un, en dehors de mes créations, se souvient de mon existence…

Mais si je dois disparaître, je veux le faire en connaissant la vérité. Toute la vérité sur moi, sur mon existence. Je suis un paradoxe vivant : je connais à peu près tout sur tout, j'ai appris tout ce qu'il y avait à apprendre dans tous les domaines de la connaissance, et pourtant, je suis incapable de répondre à une question simple : Qui suis-je ?
Il y a un vide dans mon existence, et il me faut le combler, d'une manière ou d'une autre. Ce sera mon dernier projet, avant de mettre à exécution mon plan de vengeance. Mais avant, je dois savoir. Toute ma vie aura pu se résumer à cela : la quête du savoir. Mais ce savoir-ci est le plus important de tous.




PREMIERE PARTIE


I

C'est étrange. Quand je pense au monde d'où je viens, à mes parents, à ceux que j'ai côtoyés au laboratoire de la Deuxième Cité, je ne peux pas penser à eux en d'autres termes que « ils », « eux », « Les Vinéens »… Je me sens si différent, tellement « autre »… Il m'est impossible de m'identifier comme étant l'un des leurs…
Pourtant, je suis d'origine vinéenne, c'est indéniable. Alors pourquoi ? Pourquoi une telle incompréhension, un tel décalage entre eux et moi ? J'ai l'impression de n'avoir pas ma place sur Vinéa. Je la connais pourtant par coeur, cette planète. Sous toutes les coutures, dans tous les détails, de la flore à la faune, de la géographie aux lois de la physique. J'y ai tout appris, tout étudié, tout ce qu'il m'était possible d'apprendre, en tout cas…
Ma mère m'a dit que j'ai été conçu il y a un peu plus de 2,5 millions d'années. A cette époque, Vinéa était une planète plutôt agréable. On y trouvait une variété incroyable de plantes, d'insectes, d'animaux plus ou moins imposants. La population vinéenne n'a jamais été très importante, si on se réfère à l'étendue de la surface habitable, mais elle augmentait régulièrement. Un peu avant ma naissance, les différents bassins de peuplement ont dû s'organiser en six cités, autonomes les unes par rapport aux autres, de façon à faire face à l'augmentation constante de la population, et aux problèmes organisationnels qui se posaient de ce fait. Cette nouvelle organisation a permis le début d'une structuration de la société, où chacun, homme ou femme, enfant ou adulte, avait sa place.
Est-ce génétique ? Il semble que les Vinéens ne supportent pas l'anarchie, et soient viscéralement conditionnés pour tout organiser, tout rationaliser, donner une place à chaque chose et à chacun.

Je suis donc né il y a un peu plus de 2,5 millions d'années. C'est en tout cas ce qui est inscrit dans mon dossier magnétique. Les noms de mes parents y figurent, et de toute façon, j'ai connu ma mère, même si elle ne s'est pas beaucoup occupée de moi, mais il y a dans tout cela quelque chose de bizarre… Ma mère me semble quelque peu âgée. Trop âgée en tout cas pour avoir un enfant à l'âge qu'elle était censée avoir au moment de ma naissance.
J'ai d'ailleurs toujours eu l'impression qu'elle était vieille. Or, si je m'en réfère aux autres femmes de Vinéa, à celles que j'ai connues lorsque je vivais et travaillais là-bas, et à celles qui avaient des enfants du même âge que moi, aucune n'était aussi âgée. Pour tout dire, il me semble que ma mère aurait pu être la mère de ces femmes.
La réponse se trouve dans le passé. Comme celles à différentes autres questions que je continue de me poser : qui était mon père ? Pourquoi ne s'est-il jamais préoccupé de moi ? Pourquoi mon dossier ne mentionne-t-il pas, comme les autres que j'ai pu consulter, de lieu de naissance ? Ou mes antécédents médicaux et familiaux ? Qu'a-t-il bien pu se passer au moment où je suis né pour qu'il y ait tous ces mystères autour de ma naissance ? Tout se passe comme si mon existence n'était réelle que parce que je suis en vie, mais que je ne suis pas réellement né. Alors, si je ne suis pas né, qui suis-je ? Que suis-je ?

Je dois retourner dans le passé. J'ai beau chercher, je ne parviens pas à trouver d'autres renseignements sur ma naissance, ici, en ces lieux, et surtout en ce temps. Heureusement, j'ai les moyens de voyager comme je le veux, de me rendre où et quand je le souhaite.

J'ai conçu trois nefs spatio-temporelles. Akhar est sous le contrôle mental d'Hégora, la Reine de la Cité que j'ai créée, la cité sous-marine de Vinéa. Le troisième vaisseau n'a pas encore été utilisé. Plus performant qu'Akhar, c'est mon dernier-né, mais pour fonctionner, il a besoin de certains composants vitaux qui sont pour l'heure en fonction sur le vaisseau d'Hégora. Mais tout cela viendra en son temps. Pour faire fonctionner ma perle, il me faudra récupérer Akhar. Mais pour l'heure, Aknor me suffira. Aknor est le premier vaisseau spatio-temporel que j'ai mis au point. Il est petit, rapide, très maniable, et me permettra de regagner Vinéa discrètement. Restait un problème à résoudre, celui des déplacements sur Vinéa, tout en restant en permanence sous le rayonnement du Vinadium. Mais là aussi, j'ai trouvé une solution. Il me suffira de revêtir la combinaison spéciale que j'ai mise au point il y a quelques temps. Le problème est que cet équipement est très gourmand en énergie, et ne me permettra pas de passer beaucoup de temps sur Vinéa. Il me faudra donc faire vite, très vite, pour trouver les informations dont j'ai besoin. Heureusement, je sais où chercher, et par où commencer.

Mes pouvoirs se sont heureusement développés, et grâce à eux, je vais pouvoir faire illusion.