TROISIEME PARTIE
VI
La même question me taraude toujours en permanence. Qui suis-je ? J’ai l’impression d’être seul, de n’avoir aucune attache, d’être totalement neutre, de ne pas faire partie de ce monde dans lequel je vis. C’est pour cette raison que j’ai décidé de retourner dans le temps. Pour en apprendre plus sur ma naissance, sur mes origines. Plus j’avance en âge, en savoir, et plus je me rends compte que je ne sais rien. Je suis une sorte d’électron libre sur cette planète, incapable de me sentir appartenir à cette société qui pourtant m’a vu naître. Que se passe-t-il, ou plutôt que s’est-il passé, pour que je sois si différent ? Pourtant, je me sens particulièrement concerné par ce qui peut arriver à mon monde et à ses habitants. Je crois être parmi ceux qui ont le plus œuvré, cherché, pour trouver une solution au drame qui s’est déroulé pour Vinéa. Malgré tout, je n’ai pas hésité une seconde à abandonner ce monde, lorsque j’en ai été rejeté par mes pairs. C’est très ambivalent : d’un côté, je ferais n’importe quoi pour eux, pour ce monde, pour en faire partie. De l’autre, c’est sans remords que je parviens à m’en éloigner à tout jamais, à m’exiler, seul avec mes créatures, avec mes créations… Qu’est-ce donc qui ne va pas, et qui me fait si détaché de ce monde ? Mes plus lointains souvenirs remontent à ma petite enfance. Je n’avais que quelques années, et je me souviens que j’étais déjà totalement décalé : cette solitude, ce manque de liens, avec les enfants de mon âge, l’absence de mes parents, et ces images… La réponse est sans doute dans mon passé…
VII
Je n’ai plus ma place sur Vinéa. Je sens bien que ce décalage qui existe entre les Vinéens et moi, entre leur organisation, leur société, et ma vie, est maintenant irréversible. Il ne m’est plus possible de les comprendre, de m’intégrer à cette société, pas plus qu’il leur est possible de m’y faire une place. La rupture semble totalement consommée…
Mais une autre chose me pose problème. Non seulement je ne suis plus à ma place sur Vinéa, mais en plus, je commence à me demander si tout cela ne m’a pas joué des tours plus graves qu’une simple question d’acceptation par mon peuple d’origine. Je m’éloigne de plus en plus d’eux. Je les comprends de moins en moins. Parfois, je me sens « autre », comme si je n’étais plus moi-même. Lôghar disparaît peu à peu. Et je ne peux rien y faire.
VIII
En fait, Lôghar est mort quand j’ai quitté Vinéa. Lui, ne pouvait pas survivre ailleurs que sur cette planète. Il m’a laissé sa place…
L’exil était finalement la seule façon pour moi de survivre. Je n’aurais pas pu rester sur Vinéa, pas plus que Lôghar ne pouvait la quitter. J’ai donc pris sa place. Je suis désormais Gobol, et je suis libre…
IX
Je comprends d’ailleurs mieux diverses choses. Notamment ce qui m’a toujours attiré chez les enfants. Petit, je les regardais vivre près de moi, à côté de moi. Je les enviais, et en même temps, je les méprisais. Ils semblaient être si innocents, et ne pas se rendre compte de ce qui leur arrivait. Aucun d’entre eux ne semblait avoir conscience de ce qui se jouait autour d’eux, ni à quel point ils pouvaient être aliénés par cette organisation qui régentait totalement leur vie. Mais d’une certaine façon, je les enviais aussi. C’est cette conscience aigue de la réalité, de ce qui se passait vraiment, qui m’a empêché de connaître une véritable enfance. Toutes ces images qui défilaient dans ma tête, toutes ces questions qui ne trouvaient jamais que des réponses incomplètes, cette insatisfaction permanente qui me poussait toujours plus loin dans mes recherches… J’avais envie à la fois de les protéger, de les instruire, de les éduquer, de faire en sorte qu’ils trouvent leur place dans ce monde auquel ils appartenaient…
Comme si mon inadaptation m’avait donné une conscience accrue de l’importance d’appartenir au monde dans lequel on est né… Je crois qu’à partir du moment où j’ai pu le faire, j’ai tout mis en œuvre dans ma vie pour aider et protéger les enfants, notamment du cataclysme annoncé. C’est pour cette raison que j’ai créé les petits anges gardiens. Ils sont leurs guides, ils doivent leur apprendre tout ce qu’ils doivent savoir…
X
Je comprends mieux aussi maintenant ce qui m’a toujours poussé dans mes recherches. Cette quête incessante de la perfection dans la création. Et malgré tous les essais, malgré les anges gardiens, Tryak, les archanges, Hégora, je sais que je n’y suis pas parvenu. Il manque quelque chose à tous ces robots. Il leur manque ce petit « plus » qui fait la différence entre un robot et un être vivant, cette étincelle de vie qui fait d’un enfant cet être imprévisible, fascinant, et qui fait que cet émerveillement est renouvelé chaque jour qui passe…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire