vendredi 15 juillet 2011

Instinct maternel

Cette semaine, Asphodèle nous propose un atelier en B. Voici les mots qui ont été récoltés lundi dernier, suivis de mon texte :

bouquin – bien – bout – beauté – bastingage – bambochade – bravache – barbare – banc – bambou – balivernes – byzantin – borderline – bébé – blanc(s) ou blanches (s) – bain

Instinct maternel

Elle n'avait envie que d'une chose, très simple en soi : s'installer dans un hamac avec un bon bouquin, puis se délasser dans un bain chaud. Seulement, ce n'était pas gagné d'avance. Depuis la naissance de son bébé, un adorable petit bout d'homme très bien portant, elle avait du mal à trouver du temps pour elle. Se faire une beauté, prendre soin d'elle lui semblait un luxe inaccessible, tant le nourrisson l'accaparait. Elle l'avait vraiment voulu, pourtant, ce bébé. Mais toutes ces histoires d'instinct maternel... tout ça, elle se rendait compte que c'était des balivernes, des mensonges qu'on racontait aux futures mères pour les rassurer. La vérité, c'est qu'un bébé est livré sans mode d'emploi, et qu'il est très difficile d'y comprendre quelque chose. Ce savoir-là se transmettait de mère à fille, depuis des générations. Encore fallait-il avoir eu une mère pour être la dépositaire de son savoir. Comment faisaient donc les filles qui, comme elle, n'avaient pas de mère ? Étaient-elles condamnées à être de mauvaises mères ?

Bastienne s'installa sur un banc au jardin public, le landau près d'elle. C'était un joli banc blanc, sur lequel elle avait pris l'habitude de s'asseoir quand elle sortait le nourrisson. Elle avait déjà ses rituels, même si elle n'en avait pas conscience. En fait, tout cela se faisait sans même qu'elle ne le voie. Elle s'asseyait là, et partait pour un ailleurs. L'horizon de ses rêves était bien plus vaste que celui de sa petite vie. Elle était accoudée au bastingage, elle était la femme d'un bravache qui jouait les héros et lui promettait une vie d'aventures et de passion, ou bien d'un barbare qui la faisait souffrir en la cognant. Elle partait alors, observait de loin sa propre vie, comme s'il s'agissait d'une bambochade, et ne retournait à sa réalité que quand le nourrisson à côté d'elle réclamait son attention. En général, elle subissait alors ce brusque retour comme un coup de bambou sur le crâne et avait de plus en plus de mal à s'extirper de son rêve.

Elle avait consulté un médecin, sur les conseils de son mari et de sa meilleure amie. Elle ne voulait pas se laisser sombrer, elle voulait vraiment réussir à être une maman, si possible une bonne maman. Ou au moins une maman suffisamment bonne pour que son bébé ne souffre pas comme elle avait souffert. Le verdict du médecin était sans appel : elle était borderline et son état nécessitait une surveillance rapprochée, des consultations régulières et une aide pour les tâches quotidiennes, sans quoi elle risquait d'aller à la catastrophe. Mais Bastienne ne voulait pas être une charge pour les autres, elle voulait s'en sortir seule.

Un jour, sa promenade quotidienne l'emmena un peu plus loin que d'habitude, jusque devant l'église du village où elle habitait. Elle hésita à entrer, ne sachant pas si elle y parviendrait avec le landau. Elle avisa une rampe inclinée aménagée pour les personnes handicapées, et l'emprunta avec son bébé. Elle pesa sur la poignée de la lourde porte et eut l'agréable surprise de constater que la petite église était ouverte. Elle y entra, se signa et fit le tour, ne sachant pas trop pour quelle raison elle y était entrée.
Dans l'une des chapelles latérales, elle s'arrêta devant une icône byzantine qui représentait Marie, la mère du Christ. Elle la connaissait bien, cette icône. Ce n'était pas la première fois qu'elle la voyait. Et pourtant, c'était comme si elle la découvrait. Le regard de Marie la pénétra jusqu'au plus profond de son âme, un regard doux, aimant, tendre, qui lui disait : « Je veux être ta Mère, si tu acceptes. »

Bastienne sortit, songeuse, de la petite église. Elle ne savait pas ce que c'était qu'être mère. Ni même ce que signifiait le fait d'en avoir une. Et là, Marie elle-même venait de lui proposer de jouer ce rôle pour elle.
Elle sourit : quel plus beau modèle pourrait-elle trouver ?
Elle rentra chez elle, rassérénée. Plus rien ne pouvait maintenant lui faire peur. Elle n'avait plus qu'à laisser Marie la guider dans ses premiers pas de maman. Elle y arriverait.

Amélie Platz, 15 juillet 2011

14 commentaires:

  1. thème pas assez soulevé ou occulté, l'instinc maternel ! Et même quand on a eu une mère... très belle réflexion et j'ai souri avec la "rédemption"...salvatrice ! Bravo ! ;)

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  2. instinct (avec un t !! oh la la...) :)

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  3. Ah, l'instinct maternel...
    Tes réflexion sont justes, un beau portait de femme !
    La fin m'a un peu surprise.

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  4. Tout a fait d'accord avec le passage sur le mode d'emploi des bébés :cela aiderait s'il y en avait un!;-)
    bonne journée ,merci pour ce texte plein de tendresse et dinterrogations

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  5. @ Asphodèle : Merci !
    @ Clara : l'irruption du merveilleux, du fantastique ou de l'irrationnel dans le réel est plus fréquent qu'on ne croit !
    @ Valentyne : Oh oui, j'ai souvent rêvé d'avoir un mode d'emploi : ça simplifierait bien la vie... ;)

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  6. ça y est !! Aaaah mais !! Lien mis à jour...j'ai dû sauter un tiret ou une lettre hier, pourtant il fonctionnait, bizarre !! Là je suis arrivée sur son dos, donc il marche !! ;)

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  7. Cette "obligation" faite par la société d'être une bonne mère, comme c'est lourd à porter parfois... On retrouve ton style, sobre et maitrisé. La fin est lumineuse, j'aime bien.

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  8. @ Asphodèle : Ouf, merci ! Désolée d'avoir causé autant de soucis... Je crois que ça vient du fait que j'ai modifié le billet (une coquille que je n'avais pas vu) : peut-être que du coup, le lien a changé ?
    @ Gwen : Oui, avoir du mal à prendre soin de ses enfants, en plus, c'est quelque chose de honteux, comme impensable, incompréhensible. Merci !

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  9. Une histoire très belle et réaliste, je veux bien croire qu'on puisse aimer d'instinct un bébé mais savoir s'en occuper c'est autre chose :)

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  10. Et vlan je vais la ramener et peut être me prendre une envolée de bois vert! ^_^
    De mode d'emploi il n'y a, pas plus que celui de la vie en général, mais effectivement si une mère montre le chemin !
    Joli texte tout en finesse qui pose aussi les bonnes questions !

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  11. voilà un texte qui pose de bonnes questions:comment on fait pour être une bonne mère au quotidien, même si on a très fort désiré son bébé...?
    La fin est un peu inattendue, mais en effet tout à fait plausible... certain(e)s fonctionnent avec la foi et c'est très bien comme ça!

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  12. @ Aymeline : Aimer d'instinct un bébé, moi aussi j'en étais convaincue, avant d'avoir la preuve que l'instinct maternel n'est pas forcément un instinct chez toutes les mères justement. Et pour certaines, il faut "apprendre à devenir maman". Et c'est déjà beaucoup moins simple que quand l'instinct est là...
    @ Jean-Charles : Ben effectivement, malgré les expériences des parents, chacun doit faire ses propres expériences... c'est tout à fait juste ! Seulement pour ce qui est d'accueillir un bébé, il y a des erreurs qu'on ne peut pas se permettre de faire... :)
    @ Coumarine : Oui, pour certain(e)s, la foi est un soutien et un réconfort au quotidien, y compris dans les situations les plus banales de la vie.
    Merci pour vos appréciations !

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  13. Hello Amélie ! Et bien c'est une agréable découverte que je fais aujourd'hui en posant mes valises sur ton profil ! je vois que nous partageons la même passion pour Tsuno, il va falloir que j'aille explorer ton blog en détails ^^ En ce qui concerne le texte, très bien vu ce thème ! On en parle peu souvent mais il mérite qu'on lui prête attention ... Je pensais au départ que c'était du baby-blues mais non ;) J'adore en tout cas !
    A bientôt sur la blogosphère !

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  14. @Jul : je n'ai pas beaucoup parlé de Yoko... Une chronique sur mon autre blog (http://leslecturesdamelie.blogspot.com), pour un des derniers volumes de la série... et sinon, quelques textes en rapport indirect avec la série, que tu peux lire dans les premiers messages de ce blog. Contente de te "voir" ici ! Bienvenue chez moi !

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