C'est la dernière semaine du mois d'août, et la dernière session des « Plumes de l'été » d'Asphodèle. Lundi, la collecte a été abondante, une fois encore, avec 19 mots en « H » :
HESITER – HURLEMENT – HUMAIN – HELICOPTERE – HIRSUTE – HECATOMBE – HONNEUR – HONGROISE – HASCHICH – HARMONIE – HUMBLE – HERISSON – HYPOTHESE – HUMILIATION – HANTER – HARIDELLE – HASARD – HYEMAL(E) OU HIEMAL(E) – HALO
Lundi aussi, j'ai participé pour la première fois à l'atelier de Leiloona, qui part d'une photo. Et plusieurs m'ont demandé d'écrire la suite de ce petit texte. La voici (qui me permet aussi de participer à l'atelier d'Eiluned, dont l'exercice consiste à écrire un texte à partir d'un mot, et cette semaine, il s'agit de passé ) :
Hurlement
Henry hésitait. Il n'avait aucune envie de se lever. Il était plongé dans les harmonies d'une des danses hongroises de Brahms, et il ne voulait pas interrompre ce moment magique. Henry était pianiste, arrangeur et producteur, et il exerçait son art auprès de sa femme Cécilia, Irlandaise comme lui. Il cultivait son image d'humble mari restant en permanence dans l'ombre protectrice de sa jeune épouse. Et cet arrangement tacite avec elle lui convenait très bien. Henry n'aimait pas la lumière. Il était taciturne, timide le plus souvent, et était susceptible de vivre chaque mise en avant de ses talents comme une gêne, à la limite de la suffocation. Étrangement, alors que son talent musical et ses goûts étaient unanimement reconnus, il était très mal à l'aise avec la notoriété et préférait la laisser à ses collaborateurs dont sa femme, même s'il savait ne pouvoir y échapper totalement. Un tel comportement était incompris de tous, parfois de Cécilia elle-même, qui ne voyait aucun mal à lui donner la part qui lui revenait dans le succès qu'elle connaissait, puisque sans lui, elle n'en serait pas là. Mais Henry, quelles que soient les raisons, préférait n'en rien retirer de personnel, tant toute mise en avant le paralysait. Tel un hérisson, il se mettait en boule et se refermait sur lui-même, dès qu'il apparaissait en public. Il redevenait alors le pianiste passionné mais taciturne, au fond de la scène, qui ne faisait qu'accompagner la chanteuse au talent unanimement reconnu, celle qui apparaissait dans le halo de lumière, Cécilia O'Hara.
Un hurlement inhumain l'obligea à sortir brusquement de l'écoute de cette musique entraînante qui nourrissait son inspiration. Il se leva précipitamment, sortit en trombe du salon de musique où il se trouvait et se dirigea vers les cris, en proie à une immense anxiété. Il avait déjà entendu ce cri, et ce souvenir le hantait. Il pensait cette époque révolue, il l'espérait de tout son cœur... et voilà que ses pires cauchemars refaisaient surface. Il s'arrêta sur le pas de la porte, n'osant pas la franchir de peur de ce qu'il allait trouver dehors, dans la rue. L'hypothèse qu'une telle horreur recommence lui était insupportable, et bien qu'il soit parfaitement capable de se raisonner, bien qu'il sache pertinemment que tout cela était bel et bien impossible, il était paralysé tant la peur était grande.
Sur le pas de la porte, Henry ferma les yeux, incapable de chasser les images qui l'envahissaient. Il revoyait encore l'hélicoptère de l'armée arrivé sur les lieux pour rétablir l'ordre et venir au secours des blessés. Il n'avait jamais vu une telle hécatombe. Il était sorti du pub, hagard, et avait couru au hasard des rues, ne sachant plus où il était tant le spectacle qu'il avait découvert était insoutenable. Une telle boucherie n'était pas concevable.
Le pire, c'était que le pire était encore à venir. Comme lui, tous ceux du village connaissaient les auteurs de l'attentat. En sortant du pub, il avait vu de loin deux membres de la cellule s'enfuir, un homme hirsute et une haridelle, vraisemblablement partis préparer leur prochaine attaque. Il lui avait paru évident qu'il fallait laver l'honneur des siens. Et ce fut l'escalade. La vengeance l'avait consumé, comme elle avait consumé chacun des protagonistes, dans les deux camps, de cette guerre fratricide. Il n'avait dû son salut qu'à la fuite. L'oubli dans l'alcool, le haschich, puis les drogues plus dures, toujours plus aliénantes. Toute cette période avait aujourd'hui un goût amer, un goût d'enfer. Son cœur hiémal s'était endurci, jusqu'à perdre la notion de l'autre. Il avait appris le goût de la haine, celui de la honte aussi, quand il avait compris l'horreur de ses propres actes ; il avait appris l'échec et l'humiliation, mais aussi à se cacher, à se haïr, tant pour ce qu'il avait fait que pour ce qu'il était devenu : une épave qui ne pouvait plus supporter la lumière.
Jusqu'à sa rencontre avec Cécilia. Pour elle, il avait fait plusieurs cures de désintoxication, pour elle aussi, il avait renoncé à l'Irlande du Nord. Pour la paix de son âme, il avait mis de côté ses vieilles rancunes, ses souvenirs, son ancienne vie. Sa première femme, ses fils et sa fille, tués dans l'attentat qui avait tout déclenché. Il ne voulait pas perdre son bonheur retrouvé. Il était un survivant, un convalescent. Et il savait très bien que ce hurlement qu'il venait d'entendre n'était que dans sa tête. Toute sa vie, il continuerait à l'entendre. Toute sa vie, le cri de Shannon continuerait à l'habiter. La blessure ne serait jamais totalement pansée. Heureusement, Cécilia savait tout, elle connaissait son passé, son histoire, sa vie. Et avec elle, il pouvait se reconstruire. Il était bancal, mais debout.
Amélie Platz, 24 août 2011
Quelle déchirure ces pans de l'histoire qui ont changé le visage de l'humanité à chaque fois.. Aujourd'hui, quand je vois les rebelles brandir leurs armes sur leurs chars, je me dis "pourquoi" ? " les bombes, les tirs, tout çà, pour une cause, une idéologie, une religion.. Bon, passe encore pour la défense d'un pays.. Je suis "fascinée" par les témoignages de la seconde guerre mondiale.. et pour l'IRA aussi bien sûr, étant d'origine irlandaise.. Tu vois, tu as réussi le challenge, même pas je te parle des H :-)) Bon week end
RépondreSupprimerPas mal aussi ton pianiste toxicomane... et bravo pour la suite logique de ton récit... j'admire!
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup... Merci pour ce moment de plaisir...
RépondreSupprimerEtonnant, comme cet assemblage de mot en H engendre des textes rappelant les heures noires de l'humanité. Tu n'y as pas échappé.
RépondreSupprimerJ'adore, tu as une écriture si fluide qu'on ressent sans effort toutes les sensations évoquées. Et je suis allée lire ton billet suivant sur la photo, et le style est un peu différent mais tout aussi prenant! C'est fort d'avoir deux manières d'écrire ! bravo, je me le mets en "favoris", allez !!! Biz
RépondreSupprimerQue de tourments engendrés par des luttes fratricides. Un texte bien emmené par une belle écriture.
RépondreSupprimerJe me suis laissée emportée par ton texte, ce subit retour en arrière, ces traumatismes qui restent. Bravo et merci.
RépondreSupprimerAh, voilà donc leur passé !
RépondreSupprimerSuperbe Amélie, les deux textes sont vraiment réussis ! L'inanité et l'inutilité des guerres qui laissent des traumatismes à vie même quand cette dernière reprend son cours... Quand les blessures deviennent des fractures, il y a toujours une cicatrice... Bravo encore et à bientôt de te lire chez Livy, Gwen, Leiloona et Eiluned ! Je ne sais pas encore si je pourrais dès la semaine prochaine (repos obligatoire) mais ma plume elle ne s'arrête pas pour autant ! :)
RépondreSupprimerC'est vrai que la plupart des textes que je découvre donnent à réfléchir. je continue ma lecture chez toi.
RépondreSupprimerÀ bientôt
l'horreur au rendez-vous d'une nouvelle vie
RépondreSupprimertexte savamment tricoté
une histoire de vie....
@ Ella B : La guerre est toujours stupide, quelles que soient les raisons qu'on invoque pour la faire... Merci pour ta lecture attentive !
RépondreSupprimer@ Bettina : je ne suis pas vraiment à l'aise dans les suites, d'habitude, je suis contente que celle-là fonctionne !
@ Miss So : Pas de quoi ! :)
@ Zoé : Page sombre de l'histoire, oui, mais Henry s'en sort... Merci de ta visite !
@ Jeneen : merci pour ton appréciation, et pour tes visites : je vais rougir de plaisir ! :)
@ Jean-Charles : Merci ! Certaines histoires semblent naître toutes seules...
@ Rêva : Merci ! Et bienvenue !
@ Olivia : J'avais bien compris que tu attendais quelque chose ! J'espère que cette "suite" comble ton attente ? ;)
@ Asphodèle : Tu peux compter sur moi : ton petit jeu m'a rendue accro à l'écriture (déjà que j'étais bien atteinte... :)) On se revoit donc très vite... ailleurs !
@ Marie-Floraline : Merci pour ta visite ici, bienvenue sur mon petit atelier !
@ 32 Octobre : Les vies sont souvent plus chaotiques qu'on ne l'imagine...
La suite est à la hauteur du début, on souffre presque avec cet homme. Bonne idée d'avoir couplé ça avec l'atelier d'Eiluned :)
RépondreSupprimerUn texte magnifique pour un homme brisé mais tout de même vivant. On sent bien qu'il ne cicatrisera jamais, malgré le petit bonheur qu'il a retrouvé.
RépondreSupprimer(je suis flattée que ce joli texte soit aussi pour rendez vous avec un mot !)
Si on pouvait refaire l'Histoire, avec nos humbles plumes. Un beau texte pour des moments sanglants. On aime ton pianiste.
RépondreSupprimerBises de Lyon
@ Aymeline Plume : Merci pour vos gentils messages !
RépondreSupprimer@ Eiluned : J'avoue que ma participation à ton rendez-vous s'est imposée quand j'ai compris où me conduisait ce texte...
Magnifique! on était sur la même longueur d'ondes: celle de l'amour rédempteur qui sauve de tout.
RépondreSupprimer@ Célestine : Tout à fait !
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