jeudi 1 septembre 2011

Casse à l'alsacienne


Voici ma première participation au jeu d'Olivia, Des mots, une histoire, où il fallait placer les mots suivants :
création – orchidée – révélation – combat – cartable – bouffer – tropical – contemplation – passion – hiberner – boîte – ancien – apprivoiser – ritournelle – asphyxie – folie – ostentatoire – azulejo – chromosome – imaginer – ardoise – bouchon

Casse à l'alsacienne

Sirènes hurlantes, les deux voitures de police fonçaient à travers la ville de Sélestat. Les automobilistes regardaient, surpris, cet étrange ballet. Les véhicules avaient visiblement fait demi-tour, puisque les voilà qui repassaient en sens inverse le pont qui surplombait la voie de chemin de fer. Au feu rouge suivant, un bouchon s'était formé. Deux voitures étaient arrêtées, attendant que le feu passe au vert. Derrière elles, les deux voitures de police arrivaient de manière ostentatoire, sirènes toujours en marche. La jeune conductrice de la voiture de droite, les voyant arriver rapidement derrière elle, déplaça son véhicule vers le bas-côté, afin de les laisser passer. Il avait suffi de quelques secondes pour que la seconde voiture, elle, s'arrête et que la porte avant droite s'ouvre. La première, profitant de l'espace laissé libre devant elle, repartit aussi vite, laissant la seconde sur place. Les policiers réagirent immédiatement : la porte se referma, le chauffeur fit une manœuvre rapide pour dégager la voiture et ils repartirent en chasse. C'est à ce moment-là que les conducteurs arrêtés au feu rouge se rendirent compte qu'ils venaient d'aider des criminels à s'échapper.

***

Le coup avait été bien imaginé. Il s'agissait là d'une manœuvre audacieuse qui allait leur rapporter très vite des millions. Freddy avait eu une révélation lors de sa dernière nuit au poste, quelques semaines auparavant. Il s'était lancé dans la création d'une petite équipe de malfrats qui devait lui permettre de gagner assez d'argent pour aller se mettre au vert dans un pays tropical sans plus avoir à craindre pour ses vieux jours. Le combat qu'il menait serait bientôt terminé. Il en avait assez de bouffer de la vache enragée, il ne voulait pas passer sa vie à hiberner comme il l'avait fait jusqu'à présent. Non, il se voyait bien au soleil, en train d'apprivoiser de jolies vahinées, de leur faire l'amour avec passion... Il s'abîmait dans la contemplation de sa future vie, quand la sonnerie de son téléphone le tira brusquement de sa rêverie. C'était Gino. Freddy frissonnait rien qu'en lisant son nom sur l'écran de son téléphone. Il lui avait laissé une sacrée ardoise, la dernière fois qu'il l'avait vu, dans la boîte qu'il tenait à la périphérie de la ville, et Gino le savait au bord de l'asphyxie. Jamais Freddy ne pourrait le rembourser. Il était à sa merci, il lui suffisait de l'appeler.
Freddy décrocha, non sans s'être d'abord assuré qu'il était seul. Il ne devait laisser personne s'insinuer dans sa vie et contrecarrer ses plans. Il devait d'abord régler sa dette, et ensuite, il serait libre de mener sa vie telle qu'il l'entendait. Il se répétait cette phrase en boucle, telle une ritournelle. Cela lui donnait le courage de continuer. Il savait qu'il avait assez de ressources pour s'en tirer, encore fallait-il qu'il en ait le temps.

Freddy avait rameuté ses copains d'enfance. Il savait que l'entreprise était risquée, que c'était de la folie, mais il était persuadé qu'en marquant un grand coup, il pourrait gagner sur tous les tableaux. Il pourrait rembourser Gino, et en plus, il gagnerait le respect des autres et règnerait sans partage sur la « famille ». Oui, Freddy se dit en se regardant dans la glace qu'il avait hérité du chromosome du chef, c'était une évidence. Bientôt, il aurait acquis suffisamment de prestige et aurait imposé son nom sur le Milieu centre-alsacien ; plus aucun gramme de coke ne pourrait s'échanger sans qu'il en soit averti. Mais avant cela, il devait regagner son indépendance, sa liberté de mouvement. Son plan était prêt, il ne restait qu'à passer à l'action.

***

En réalité, tout cela était très simple. Il allait y avoir, dans la petite ville où il habitait, une grande exposition d'œuvres d'art anciennes. Elles venaient de divers pays d'Europe, et Freddy, s'il n'y connaissait rien en art, avait trouvé une description sommaire de l'exposition sur Internet. Il ne savait pas ce qu'était un azulejo, ni de la marqueterie, mais il était persuadé qu'un casse règlerait tous ses problèmes. Seulement, il ne pouvait pas faire cela seul, ni, surtout, sans aucune préparation. Il fut bien obligé de s'adjoindre deux complices qui semblaient bien ne pas avoir inventé l'eau chaude, mais peu lui importait, au contraire. Il se devait d'avoir de l'ascendant sur eux. Donc il devait se montrer le plus intelligent. Il décida donc qu'ils entreraient pour visiter l'exposition, comme tout le monde. Seulement, eux, ne seraient pas comme tout le monde, justement. Il suffisait d'un simple cartable pour apporter sur place de quoi faire sauter les vitrines et s'emparer du butin. Pour donner le change, Freddy misait tout sur la présentation. Une orchidée blanche en boutonnière irait magnifiquement avec son beau costume et lui donnerait la prestance dont il avait besoin pour mener à bien son entreprise. C'était simple : il entrerait avec son « collègue », lui aussi sapé comme s'il se rendait à un mariage, puis ils se dirigeraient vers les vitrines pour repérer les objets de valeur qui méritaient de finir dans leurs poches. Ils attendraient que la salle se vide et pendant que tout le monde sortirait, il ne leur resterait plus qu'à couper les fils reliant les vitrines aux alarmes, puis à ouvrir les vitrines et en sortir les objets précieux. Leur complice les attendrait à la sortie, avec la voiture volée pour la circonstance, et ils pourraient s'enfuir sans problème. Après la revente des objets et bijoux volés, il n'aurait plus qu'à payer ses dettes et ensuite, à eux la belle vie.

***

Seulement, allez savoir pourquoi, rien ne se passa comme prévu. Tout d'abord, l'exposition fut déplacée. Au lieu de l'habituel caveau Sainte-Barbe du centre-ville, cette fois-ci, l'exposition fut organisée dans les locaux flambants neufs du commissariat de police. L'une des informations que Freddy avait zappée, c'était que cette exposition devait clôturer la journée d'inauguration de l'édifice tout juste terminé, et qu'elle était l'occasion aussi d'accueillir le nouveau commissaire, qui prenait ses fonctions ce mois-là.
Et puis, Matt, le troisième larron, n'avait rien trouvé de mieux comme véhicule pour prendre la fuite qu'une voiture de police... la seule ouverte, sur le parking.

Quant ils entrèrent dans la salle où se tenait l'exposition, Freddy et son complice ne comprirent pas tout de suite ce qui se trouvait sous leurs yeux. Au lieu des vitrines remplies de bijoux qu'ils s'étaient imaginées, ils virent un certain nombre de tableaux et de pans de murs décorés de faïence bleue. Ne voulant pas avoir organisé tout cela pour rien, ils tentèrent de s'emparer des tableaux en marqueterie présents dans la salle, mais ne réussirent qu'à déclencher les alarmes, alertant immédiatement tout ce que la ville comptait comme bleusaille. Ils prirent la fuite, et Freddy se dit que finalement, le choix de la voiture de police avait ses avantages. Le temps que les braves citoyens comprennent, ils les laissaient passer, faisant fi des feux tricolores.

Jusqu'au carrefour près de la place de la République. Une étoile à cinq branches d'où les voitures viennent de tous côtés. Brûlant le feu, Matt tenta un virage à droite, mais le prit trop long et la voiture fit une embardée qui l'emmena droit dans les immenses pots dans lesquels étaient plantés des palmiers en forme de grosses boules, avant de finir sa course dans le muret en grès des Vosges qui séparait la rue du parking attenant.
Cette fois, les policiers descendirent de la seconde voiture, menottes en main, et cueillirent les trois malfaiteurs bien sonnés, alors qu'ils tentaient de sortir de l'épave de la voiture volée. Quelques secondes après, le fourgon arrivait avec du renfort, prêt à embarquer les trois hommes pour le commissariat... où leur prochain logement était déjà prêt.

Amélie Platz, 1er septembre 2011.

12 commentaires:

  1. Bonne idée que ce casse qui tourne court !
    Une belle première participation, en tout cas !

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  2. ça leur apprendra à voler des oeuvres d'art ;)
    Ton histoire est très agréable à lire !

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  3. Roooh, tu te lances dans le thriller ? Quelle histoire rondement menée en tout cas !

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  4. @ Olivia : Merci ! Mais je ne suis pas totalement satisfaite du résultat... Un peu trop vite fait, celui-là, prise par le temps...
    @ Aymeline : Merci ! Le vol d'oeuvres d'art, c'est pas cool. Peuvent pas se contenter des billets de banque ? :)
    @ Asphodèle : En fait, j'avais déjà écrit un autre texte, mais hier, j'ai croisé les deux voitures de police en rentrant chez moi... par deux fois ! Le premier paragraphe est véridique, et le reste s'est imposé. Quant à savoir si j'écrirai d'autres textes de ce genre... ;)

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  5. je me suis laissée prendre par l'action... très bien racontée... pas très doués... un peu Pieds Nickelés...

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  6. Une course-poursuite dans les rues de Selestat et nous devant notre écran! Chapeau! Quant à Freddy son chromosome du chef! Hum!

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  7. Une aventure qui ne se finit pas très bien, finalement vaut mieux l'écrire que la vivre.

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  8. Ah ça les apprendra à ne pas se renseigner ! Leur échec était programmé ! Chouette texte en tout cas !

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  9. Décidément, il s'en passe des choses, à Sélestat! ;-) Comme chez Olivia, les mots sont parfaitement fondus dans le texte... Le lecteur est accro jusqu'au point final!

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  10. Quelle imagination débordante de vitalité, avec une utilisation toujours aussi fluide des mots imposés ! Bravo !!! :-))

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  11. @ 32 Octobre, Jean-Charles, Claudialucia, Eiluned, Gwen et Ella B.: Merci ! Vos commentaires me font bien plaisir et m'encouragent ! D'ailleurs, la suite des aventures de Freddy est écrite, et à suivre avec l'atelier d'Eiluned.

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  12. très drôle : George clooney voudra t il du rôle?
    Hum hum le milieu centre alsacien :-)

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