mercredi 5 octobre 2011

Jour de noces (2)

(premier épisode : ici)

Quand elle était enfant, Mariam était une petite fille d'humeur plutôt égale, aimant rire, sauter, jouer dans les champs et le potager du jardin. Elle donnait volontiers de son temps au jardinier pour l'aider dans son travail, binant et retournant la terre, ramassant les légumes quand le temps était venu... Elle aimait les fragrances champêtres, les effluves florales du jardin et ne se plaisait que lorsque le temps lui permettait de sortir à l'air libre. Elle aurait pu être parachutiste ou agricultrice, du moment qu'elle était dehors, tout lui convenait. Mais un jour, sa mère décida qu'il ne seyait pas à une jeune fille de bonne famille de passer sa vie dehors et de batifoler dans la terre et les herbes, aussi décida-t-elle de reprendre l'éducation de sa fille en mains et d'en faire une vraie lady.

Elle engagea donc un précepteur à domicile, dont le travail était d'enseigner à Mariam tout ce qu'une jeune fille doit savoir. Il était évidemment question de leçons de français, de grammaire et d'orthographe, mais aussi de mathématiques, de sciences, de botanique, de géographie, d'histoire. Les leçons alternaient donc, sur les mœurs des éléphants en pleine savane, les noms des astres et corps célestes... Mais pas uniquement. La jeune fille se devait aussi d'apprendre l'art de se tenir en public, et les mille et une choses qui font d'une enfant une jeune fille bien élevée. Le précepteur, M. Gremion, aimait beaucoup son élève et prenait énormément de plaisir à lui enseigner son savoir. Elle était vive et intéressée, se passionnant tout autant pour les breloques qu'il avait rapportées de l'un de ses voyages dans l'île de Java que pour la fabrication du miel ou l'utilisation et l'orthographe des mots de la langue de Molière. Cependant, M. Gremion n'était pas aveugle. Il avait bien remarqué que sa jeune élève, si elle était amoureuse du savoir et ne se plaignait jamais devant un nouveau devoir ou une leçon supplémentaire, ne se plaisait jamais autant que quand elle était dehors, au grand air, au milieu des arbres, des fleurs et des plantes qui embellissaient le jardin. De son côté, malheureusement, M. Gremion ne pouvait passer autant de temps qu'il le souhaitait à l'extérieur avec son élève. Il aurait souhaité pouvoir le faire, tant la botanique l'intéressait. Or le jardin familial était parfaitement bien entretenu et le jardinier faisait des merveilles avec les plantes et les fleurs, y compris quelques espèces exotiques. Mais M. Gremion était allergique aux pollens, à beaucoup de pollens, ce qui rendait ses sorties extrêmement pénibles. A chaque fois qu'il allait dehors, il se mettait à éternuer. Ses yeux piquaient, l'obligeant à les frotter énergiquement, comme s'il avait de minuscules poussières à l'intérieur. Les crises étaient fatigantes et pénibles, sa vue devenait floue au bout de quelques minutes, et il se voyait dans l'obligation d'utiliser son petit flacon de collyre afin d'atténuer la douleur pour un temps. Pour Mariam, la vision de son professeur malade, éternuant et pleurant dès qu'il mettait le nez dehors était une véritable torture, à tel point qu'elle se refusait à sortir quand elle savait le temps chaud propice à provoquer une nouvelle crise. Elle retournait alors à son pupitre et à son stylo à encre, et reprenait sagement les leçons, frustrée de ne pas pouvoir être à l'extérieur, mais soulagée de voir que son professeur se sentait bien. Elle s'était prise d'affection pour lui et, comme toute enfant privée de l'amour de ses parents, elle ne souhaitait qu'une chose : qu'il l'étreigne et la rassure, qu'il la console et lui communique un peu de sa chaleur.
Ses sentiments pour cet homme bon et généreux étaient très purs et sans aucune équivoque de sa part. Malheureusement, elle savait intuitivement que de tels gestes n'auraient jamais lieu. Il était en effet impensable qu'un professeur prenne un jour son élève dans ses bras pour la consoler. Cela ne se faisait tout simplement pas. Si sa mère avait eu vent de ce type de comportement, le professeur aurait été renvoyé sur le champ. Et Mariam aimait tellement son professeur que cette seule idée suffisait à lui donner assez de courage pour se passer de ces contacts pourtant vitaux pour elle.

La jeune fille grandit ainsi, seule, avec pour seule compagnie celle de son professeur. Bientôt, elle serait adulte, une femme accomplie, tout à fait capable de tenir une maison, de soigner son mari et ses enfants, et d'assumer son rôle de maîtresse des lieux. Seulement, bien que parfaitement éduquée, quelque chose manquait à Mariam. Quelque chose d'irremplaçable. Quand on vit ainsi privée de tout contact avec l'extérieur, avec des enfants du même âge, peut-on espérer vivre au grand jour sans problème ? Le choc avec l'extérieur ne risque-t-il pas de provoquer un véritable traumatisme ?



Voici ma participation à l'atelier d'Olivia, Des mots, une histoire, de vendredi dernier (j'ai un peu moins de retard que la dernière fois, je tente petit à petit de combler les trous). Les mots à placer étaient :

parachutiste – flacon – humeur – éléphant – breloque – temps – encre – saut – champ – potager – miel – éternuer – traumatisme – fragrance – flou – mots – piquer – amoureux – effluves – rire – étreindre – astre – java

4 commentaires:

  1. quelle triste enfance ! j'espère qu'elle retrouvera le bonheur dans ton histoire :)

    RépondreSupprimer
  2. @ Aymeline :
    Le problème, c'est que je ne sais pas du tout où je l'emmène, cette jeune fille ! Faut que je me remette à l'écriture, là... :)

    RépondreSupprimer
  3. Qu' est ce que c' est bien écrit ! ça coule, ça coule... Vivement la 42!

    RépondreSupprimer