(Photo : Romaric Cazaux)
Pierre
regarda au-dessus de lui, à la surface de l'eau. Le ciel se
couvrait, la pluie allait bientôt tomber. Elle avait été annoncée,
mais il ne l'attendait pas avant le soir, et il se demandait combien
de temps il avait bien pu rester ainsi, sous l'eau, à observer ce
monde mystérieux et fascinant qui s'épanouissait sous ses yeux. Il
regarda la jauge de son équipement de plongée et comprit alors
qu'il serait perdu s'il ne remontait pas immédiatement : il
n'avait plus que quelques minutes devant lui avant que sa bouteille
d'oxygène ne soit vide. Malgré sa tendance à la procrastination,
quand il est question de survie, il y a des choses qui ne doivent pas
attendre ! Heureusement, il n'était pas à plus de trois mètres
de profondeur, il n'aurait ainsi pas de pallier de décompression à
observer.
Il
remonta rapidement, mais à regrets : il se demandait s'il
aurait un jour l'occasion de retourner dans ce monde enchanteur qui
l'attirait de plus en plus. Il se dit qu'avec un peu de persévérance
et d'entraînement, il trouverait le courage d'affronter sa peur du
large, comme il avait pu le faire le matin même. Après tout, il ne
lui était rien arrivé !
De
retour sur La
Belle des mers,
Pierre se débarrassa de son attirail de plongée et observa autour
de lui : dans la baie, de petits bateaux de plaisance rentraient
au port, et, proches de la plage, les pédalos affrontaient les
vagues, heureusement peu importantes à cette heure. Il sourit en
regardant les vacanciers sur la plage et dans l'eau, à quelques
dizaines de mètres de lui. Des enfants jouaient à se poudrer le
corps avec le sable fin, ou s'enterraient dans de grands trous qu'ils
avaient creusés, bâtissaient d'éphémères châteaux que la
prochaine marrée se chargerait de ruiner. Il avait l'impression
d'être le seul à savoir, à « voir » la cohabitation
des deux mondes. Il lui plaisait d'imaginer qu'il était le seul à
avoir conscience de l'existence de cette merveille sous-marine qu'il
venait de découvrir.
Pour
ne pas déranger le monde qu'il venait de quitter, il renonça à
mettre le moteur de La
Belle des mers
en marche et prit les rames pour regagner l'embarcadère d'où il
était parti le matin. Il lui semblait qu'il ne devait rien troubler.
Les gouttes de pluie devenaient de plus en plus grosses et
nombreuses, et les baigneurs sortaient maintenant un à un de l'eau.
Après
quelques minutes, Pierre amarra La
Belle des mers
à son ponton et reprit la direction de sa maison. La propriété
était immense, entourée d'un jardin qui tenait plus du pré que de
la pelouse. Derrière la vieille bâtisse, un massif de fleurs, des
pivoines, des rosiers, auraient eu besoin d'une main verte pour les
débarrasser de leurs pucerons et autres mauvaises herbes qui
risquaient de les étouffer, mais Pierre n'en avait cure : les
fleurs, ce n'était pas son truc. Il était de toute manière
allergique au pollen et, de ce fait, évitait de rester à
l'extérieur dès que la saison avançait. Pourtant, il aimait voir
les moineaux, au printemps, picorer les miettes de pain qu'il leur
laissait après son petit déjeuner sur la terrasse, mais il savait
aussi qu'il ne pourrait plus en profiter très longtemps.
En
s'approchant de la vieille demeure, il remarqua tout de suite que
quelque chose n'allait pas. La façade semblait abimée, décrépie,
les volets avaient l'air de ne plus tenir que par miracle. Néanmoins
il entra dans la maison, sans manquer de s'étonner de son air
poussiéreux et de l'odeur de putréfaction qui l'assaillit dès
qu'il ouvrit la porte. Oui, quelque chose n'allait pas. Il pénétra
dans le salon où le tapis persan lui parut élimé, bien plus abimé
qu'à son réveil le matin même. Sans doute était-ce une illusion
d'optique ou une question de lumière ? Toutefois, il y avait
cette odeur étrange, âcre, qui le prit à la gorge et le paniqua
légèrement. Tout cela n'était pas normal. Il se dirigea vers la
cuisine, où il savait qu'il trouverait de quoi manger, et comprit
d'où venait l'odeur. Sur la table, le pain était dur et les légumes
qu'il avait rapportés du marché avant d'aller en mer étaient en
pleine décomposition. Le morceau de poulet n'avait pas mieux
résisté, et Pierre se mit en colère, se demandant pourquoi le
boucher lui avait vendu de la viande avariée. Après avoir jeté ce
qui aurait dû constituer son déjeuner et nettoyé la table de la
cuisine, il s'approcha du garde-manger qu'il n'ouvrait d'habitude
qu'avec parcimonie pour y chercher de quoi se préparer un substitut
de repas avant d'aller se plaindre chez les commerçants, quand il se
rendit compte que là aussi, il ne restait rien. De la moisissure, de
la poussière, et la même odeur âcre de pourriture. Du côté des
boissons, c'était la même chose : le vin était éventé, le
jus d'orange pétillant, rien n'avait résisté, comme si le temps
avait filé bien plus vite que Pierre ne l'avait prévu.
Il
prit sa tête entre ses mains, dans l'incapacité de comprendre ce
qui lui arrivait. Il se dirigea vers le vestibule, prêt à sortir de
la maison et jeta au passage un coup d'œil dans la bibliothèque. Il
y avait passé beaucoup de temps, y avait lu les plus belles pages de
la littérature et les avait souvent partagées avec ses amis ainsi
qu'avec Pascaline, sa femme. Elle était partie, un jour qu'il
n'avait pu lui accorder son pardon. Un jour de plus, un jour de trop.
Le dialogue avait été rompu, et il savait maintenant qu'il avait eu
tort : sa faute n'était pas si grave, après tout. Et lui, sans
doute trop exigeant. Il regrettait maintenant : la solitude lui
pesait, la folie le guettait, il le savait. Et soudain, il s'arrêta,
comme pétrifié. Un pas puis deux en arrière l'amenèrent dans
l'entrée où un miroir lui révélerait la vérité. Il ne se
reconnut pas dans ce vieillard aux cheveux blancs. Que s'était-il
passé ?
Amélie
Platz, 11 avril 2012
Voici
ma participation aux Plumes
de l'année,
d'Asphodèle, où le jeu prévoyait de placer les mots suivants :
Poussiéreux
(se)
– pluie – pré – persévérance – parcimonie – picorer
-page – perdu(e) – pétillant(e) – procrastination* – pédalo
– putréfaction – pollen – pardon – persan – pivoine –
partage – poudrer.
J'ai
profité de l'exercice pour participer également au jeu de Leiloona,
Une
photo, quelques mots...
Pierre a perdu la mémoire , Alzeimer ? tres beau texte sur le temps qui passe trop vite .... La vie qui file entre les doigts ...
RépondreSupprimerPerdu la mémoire ? Je ne sais pas encore. En tout cas, oui, le temps passe trop vite ! On verra ce que donnera la suite. Merci pour ta visite !
Supprimerhistoire passionnante
RépondreSupprimerdont j'attends la suite avec impatience
Ah ! Ben là encore, je suis bien embêtée... j'ignore totalement ce que va donner la suite ! Merci en tout cas pour ton passage !
SupprimerAttention, Amélie, Olivia relève les copies le vendredi matin après avoir entériner la liste des mots déposés le mardi soir !
RépondreSupprimerTu vas devoir te décider vite pour la suite de cette histoire qui nous tient en haleine :)
C'est drôle d'unir les Plumes d'Aspho et la photo de Leiloona. J'ai cru que j'étais en retard pour l'histoire de cette délicieuse maison...
@ bientôt et bises de Lyon
Participer au jeu d'Olivia va être une autre paire de manche, avec le travail qui reprend sur les chapeaux de roues la semaine prochaine ! Mais tu as raison, Soène, il va falloir que je me décide vite... ou que j'attende les mots chez Olivia : qui sait, j'y puiserai peut-être l'inspiration pour une suite ?
SupprimerBises !
Ah ça fait plaisir un peu de paraNormal ! Je ne m’attendais pas à ce que tu le fasses aussi vieillir. On s'avance donc plus vers une xème dimension que vers une faille spatio-temporelle, oubien ? Mais que s'est-il passé dans l'eau ? Ou c'est un problème psy ? On dirait que tu viens d'ouvrir une porte qui va être bien sympa à refermer !
RépondreSupprimerJe crois que le fantastique fait décidément et définitivement partie de mon univers... je ne parviens pas à écrire autrement !
SupprimerPorte sympa à refermer, oui, il va juste falloir que je m'y mette ! :)
tu as toi aussi l'art de cumuler les consignes !! mon texte sur la photo sera en ligne lundi. J'aime beaucoup le tien. J'aime ce que tu dis de la plongée sous marine et de l'existence de deux mondes, un silencieux et l'autre rempli de cris d'enfants. Un sacré bond dans le temps pour cet homme qui semble aussi décrépi et triste que cette bicoque...
RépondreSupprimerMerci, Lucie ! Oui, j'aime aussi ce contraste entre deux mondes, et la possibilité de s'isoler dans l'un d'eux... :)
SupprimerJ'adore la touche "fantastique" du retour à la réalité ! Il va bien falloir que tu nous dises ce qui s'est passé entre le bateau et son retour à la maison, hé hé ! Encore une fois texte très bien écrit Miss Amélie !^^
RépondreSupprimerMerci Miss Asphodèle ! Ce qui s'est passé ? Euh... suite au prochain épisode, là ! ;)
SupprimerLe temps s'estompe chez toi cette semaine, mais il nous rattrape trop vite. ;-) J'adooore ! :D Aurons-nous le fin mot de cette histoire, ou sommes-nous entrés de plein pieds dans la quatrième dimension ? :D
RépondreSupprimerBen ça, je n'en ai encore aucune idée, mais ça va venir, certainement ! Merci de ton passage ici !
SupprimerTu ferres ton lecteur avec le ton fantastique ! Mais alors, que lui est-il arrivé ? Vite le 4ème, vite ! ;)
RépondreSupprimerEh eh !! Il va falloir un tout petit peu de patience, là ! La photo de demain, peut-être ? (ou les mots d'Olivia ?)
SupprimerLe temps est passé sans qu'il s'en rende compte semble t-il.. Est-il resté tout ce temps sous l'eau ? Tu as bien mené ton texte, sans précipitation, les mots se tiennent et c'est notre pouls qui accélère... Il me tarde de lire où tu vas nous mener :-)
RépondreSupprimerCoincoins passés
Merci pour ton appréciation ! Quant à ce qui s'est passé réellement, on verra ça dans quelques jours ! Merci de ton passage !
SupprimerD'après ce que je lis tu écris au coup par coup...lol..je connais ça aussi.
RépondreSupprimerNe plus se souvenir sans doute ce qu'il y a de plus difficile... La suite ! :-)
Tu as tout compris ! Et la suite vient, bientôt ! :)
SupprimerJe sentais la chute arriver... Pierre a-t-il perdu la tête? S'est-il absenté trop longtemps? J'ai hâte de connaître la suite!
RépondreSupprimerFolie ? Saut dans le temps ? 4e dimension ? Tout reste ouvert ! Merci pour ton passage ici !
SupprimerDonnes moi l'adresse du boucher...c'est immonde de vendre des produits périmés...il pourrait tuer quelqu'un.
RépondreSupprimerAh ! Une nouvelle façon de trucider son prochain, Wens ? :)
Supprimer